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Tristan und Isolde à Turin : Je t’aime…moi non plus !

Très populaires jusque vers la fin des années soixante, les opéras de abandonnent peu à peu les scènes italiennes, plus particulièrement celle du Regio de Turin où la dernière incursion wagnérienne date de six ans déjà, et la précédente de douze ans !

Pas étonnant dès lors que la première de ce Tristan und Isolde n'ait pas fait le plein. Et si le théâtre turinois espérait redorer le blason wagnérien, ce n'est certainement pas avec cette production qu'il y sera parvenu.

Les décors à l'esthétisme enfantin du peintre américain dénaturent l'esprit de l'œuvre wagnérienne. Ses cartons-pâtes colorés à l'excès combinés aux éclairages de couchers de soleil comme des dessins animés des années cinquante alimentent une image hollywoodienne de mauvais Technicolor. Des ambiances qui plongent le spectateur dans les illustrations de son enfance, comme un souvenir de Blanche-Neige de Walt Disney. Mais sans le Prince Charmant ! Parce que dans cet univers décalé, la mise en scène (ou plutôt son absence) de laisse songeur quant au sérieux avec lequel un pareil monument lyrique a été abordé par l'équipe chargée d'en montrer l'essence. Sans réalité, sans poésie, le dessein scénique manque de chair. On ne vit ni l'intrigue, ni le sentiment. Pourtant le clame haut et fort lorsqu'il précise, « dans mon existence je n'ai jamais connu le vrai bonheur que donne l'Amour, je veux élever à ce rêve, le plus beau de tous les rêves, un monument dans lequel cet amour se satisfera largement d'un bout à l'autre… ».

Ici, l'amour semble avoir été mis aux abonnés absents. Comme un interdit. Ni les protagonistes ni le public ne se fondent dans l'extase amoureuse de Tristan et d'Iseult. Entre les deux amants rien ne se passe. Un singulier « Je t'aime…moi non plus ! ». Alors que leur amour brûle, le théâtre de leur passion n'est qu'ébauché. Lorsque les amants se retrouvent aux abords du Château du Roi Marke, ce qui devrait être l'apogée de leur extase amoureuse se résume à un simple enlacement fraternel. Surpris par le roi Marke, ni Tristan, ni Yseult ne semblent troublés par leur inconduite. Si le metteur en scène avait cherché à effacer tout l'aspect sentimental du drame pour n'en montrer qu'un banal conte musical, il ne s'y serait pas pris autrement.

Les protagonistes s'en ressentent d'ailleurs à l'image de la soprano (Isolde) campant un personnage théâtralement blafard. Vocalement elle tend à crier, gênant l'expression d'une voix qu'elle a belle lorsqu'elle ne force pas son instrument. La fatiguant inutilement, les ultimes moments de l'opéra laissent entrevoir quelques marques d'épuisement vocal majeurs, l'empêchant de donner le meilleur d'elle-même dans son air final. En outre, comme elle, (Tristan) souffre de légers problèmes de justesse. Mais, après un début en demi-teinte, le ténor britannique s'élève à la hauteur de son rôle se tirant de l'écrasant rôle avec vaillance, même si on aurait aimé qu'il soigne une diction allemande souvent approximative. De son côté, le baryton (Kurwenal) est loin de procurer l'émotion récemment soulevée dans son Sachs (Die Meistersinger) de Genève. Routinier, il assume son rôle sans reproche mais sans brillant. L'agréable surprise vocale vient de la mezzo-soprano (Brangäne). D'une voix extrêmement ronde, charnue et bien placée, elle impose un personnage d'une douceur prévenante. Son « Einsam wachend in der Nacht » envahit le théâtre comme un baume. Seul véritable acteur de cette production, la basse (le roi Marke) se saisit de son rôle avec une théâtralité formidable. Certes la voix a subi l'usure d'une longue carrière, le vibrato s'élargissant, mais la présence scénique de la basse reste un jalon de son engagement artistique donnant à son personnage, une dignité, une autorité remarquable.

Au pupitre, le chef allemand s'empare de l'Orchestre du Teatro Regio pour en tirer une musique souvent sensible et bienvenue, même si parfois son tempérament l'entraîne à des excès sonores dont les chanteurs pourraient se passer.

Crédits photographiques : © Ramella & Giannese

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