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The Rake’s Progress à Lyon, un (presque total) régal

Dans son spectacle en provenance de Bruxelles, semble avoir pris le parti de ne s'appuyer que très partiellement sur le livret de l'opéra de Stravinsky.

Peut-être pour montrer sa propre image d'une Amérique kitch et superficielle en contradiction certaine avec celle que Stravinsky avait à l'époque de la création de son opéra. Opérant par tableaux successifs, il offre une intrigue décousue même si les personnages la suivent tout au long de l'opéra. Oscillant entre le réel et l'irréel, le metteur en scène canadien crée des ambiances parées de fréquentes allusions au cinéma hollywoodien qui, s'ils font le spectacle, ne conduisent pas vers la déchéance programmée du «héros». Tout se passe comme si chaque épisode de la vie de ce libertin n'était qu'une suite de faits-divers sans liens entre eux.

De leur côté, les décors (Carl Fillion) contournent les indications du livret sans autre apparente véritable raison que de recréer l'existant. Ainsi le jardin de la maison de Trulove devient une plaine sans relief du Texas où tourne une pompe d'extraction du pétrole, le bordel de Mother Goose à Londres un bar du Far-West américain, le salon de la maison londonienne de Tom une misérable roulotte au milieu d'un paysage sans âme. Outre ces inutiles transpositions d'un opéra qui a, malgré tout, pris passablement de rides depuis sa création en 1951, la laideur des décors de carton-pâte n'a d'égale que celles des costumes (François Barbeau).

Reste la musique et les chanteurs. Peut-être par manque de souplesse d'un Orchestre de l'Opéra de Lyon semblant moins en forme qu'à son habitude, la direction musicale d', quoique soucieuse des solistes, manque parfois de souligner les climats qu'elle suggère. Par contre du côté des chanteurs, c'est un régal presque total. Si l'on excepte la voix usée de Dagmar Peckova (Baba the Turk) qui ne parvient guère à sortir son personnage d'une certaine vulgarité, et aux relatives pâleurs vocales de (Trulove) et de Julianne Young (Mother Goose), les trois principaux protagonistes s'investissent sans compter. Si la soprano américaine (Anne Trulove) charme son monde avec une voix bien conduite, c'est avec ses suraigus (trop rares dans la partition de Stravinsky) qu'elle enchante. Dans la retenue de son personnage trop sage pour comprendre les malheurs qui l'entourent, elle module son instrument pour se faire touchante de simplicité et de compassion. Pratiquement sur scène pendant tout l'opéra, le ténor (Tom Rakewell) démontre une belle santé vocale pour un rôle écrasant, même si on l'aurait aimé vocalement plus excessif, plus puissant peut-être, théâtralement plus impliqué dans son personnage. Lorsque, porté par les images (le meilleur moment de la mise en scène) de la fosse aux serpents de l'asile où, vaincu par la folie, il va mourir, le ténor britannique est bouleversant aux larmes.

Sans se monter le cou, dans la discrétion d'un rôle dans lequel il lui aurait été facile de briller, le baryton (Nick Shadow) règne néanmoins en incontestable maître du plateau. Si le personnage est particulièrement vil, la composition qu'en fait le baryton ne donne pas dans la méchanceté gratuite. Vilain parmi les vilains, à la fois magnifique et odieux comme un Comte des Noces de Figaro, il s'insinue ainsi qu'une conscience malfaisante dans l'esprit de Tom Rakewell. Sans jamais exagérer, ni tomber dans la facile caricature, brosse un personnage satanique avec une rare intelligence artistique. La voix ? Celle du rôle. C'est tout.

Crédit photographique : (Tom Rakewell) & Julianne Young (Mother Goose) © Bertrand Stofleth / Alain Franchella

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