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Une Traviata au château

Chaque Festival a son rituel et monter au Château de Castelnau en est un, délicieux lorsque des conditions climatiques idéales permettent de détailler à l'infini les paysages qu'offre le plateau du Haut Quercy.

On dîne sur les remparts avant que la cloche agitée par le maître des lieux, , nous convie à la représentation de « la Traviata » dans la cour d'honneur du château.

Fidèle à une politique qu'il mène depuis une vingtaine d'années, a choisi « d'inventer une manière nouvelle et généreuse de faire de l'opéra et du théâtre musical, de les extirper de leurs palais dorés et des rendez-vous mondains, pour les rendre au plus grand nombre ». Pas de fosse pour l'orchestre drastiquement réduit (les vents par un ou deux, une poignée de cordes, deux timbales…, une version sur mesure commandée par le Festival au compositeur Philippe Capdenat) et localisé côté cour pour que le mur d'enceinte renvoie naturellement le son sur la scène. Quelques mesures de l'Ouverture suffisent pour que l'oreille s'habitue à cette captation intimiste mais très fidèle qui met en phase directe chanteurs et instrumentistes. Saluons la qualité soliste des musiciens qui, sous la baguette exigeante et très investie de , mènent le drame avec beaucoup de vitalité et une recherche de couleur souvent à fleur d'émotion.

Dans ce décor naturel sur un fond rouge pompéien – la couleur de la pierre du pays – quelques chaises et fauteuils recouverts de tissu écru bordent le plateau et attendent des spectateurs (une sorte de théâtre dans le théâtre donc) puisque cette société de plaisirs, dont Desbordes se plait à souligner la dégaine, et invitée par Violetta assiste avec un certain recul à la rencontre des deux protagonistes. On retrouvera cette perspective habilement crée dans le Brindisi où la danse lente des couples superpose son temps nonchalant au rythme soutenu des cœurs amoureux. Un parterre de roses rouges – on pense aux œillets de – suffit au décor du deuxième acte, des fleurs foulées au pied par Violetta lorsqu'elle cède à la demande de Germont en renonçant à un bonheur qu'elle ne peut s'autoriser. Le deuxième tableau fait revenir le contexte initial dont les outrances (couleur rouge sang, visages grimés, travesti) portent déjà les stigmates de la mort ; le troisième acte s'enchaîne alors directement au précédent ; le chœur désormais sans voix sur des chaises dégarnies, tourne le dos à l'héroïne mourant sans le secours d'Alfredo, victime de cette société d'hommes qui, à son tour, la regarde mourir.

Profondément habitée par son personnage qu'elle nourrit de toutes les nuances psychologiques façonnant le caractère de Violetta, accomplit une véritable performance artistique, gérant au mieux les exigences d'un rôle écrasant – incluant les conditions du plein air – avec une qualité vocale et stylistique remarquable qui gagnera en souplesse au fil de la représentation. Aux côtés de Linda Durier – Annina – dans le troisième acte, elle vit les derniers instants de son personnage avec une ferveur dramatique saisissante.

S'il n'a pas l'abattage scénique de sa partenaire, a l'aisance vocale et les aigus lumineux d'un magnifique ténor italien dont on apprécie l'intelligente conduite et la clarté d'élocution. , dans le rôle de Germont, confère au personnage une stature un peu trop monolithique due, sans doute, à la qualité de sa voix, bien timbrée dans le registre moyen mais perdant sa vaillance dans les aigus. Il contribue cependant à l'intensité lyrique du dernier acte dont l'admirable trio constitue un des sommets musicaux de Verdi. Le chœur, remarquable dans chacune de ses interventions, est acteur lui aussi de cette cohésion, un défi pour l'» Opéra éclaté » que relève avec brio son directeur, prouvant qu'avec du discernement – qui confine à l'essentiel – et de l'imagination on peut accéder – et faire accéder – à la vérité dramatique et à l'authenticité du genre sans ses lourdeurs et ses conventions.

Crédit photographique : © Nelly Blaya

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