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Du béton et du plomb pour Mitridate à la Monnaie

 

Nouveau moment important au Théâtre royal de La Monnaie de Bruxelles : après l'arrivée d'un nouveau directeur, après le concert inaugural de ce mandat, puis l'accueil de la première production en provenance de Berlin, voilà le temps du premier spectacle monté avec les forces de la maison et surtout avec le prochain directeur musical dans la fosse.

Pour cette entrée en matière, Peter de Caluwé a fait appel à un grand nom de la mise en scène : le sur-actif . Bien connu du public lyricophile belge par ses collaborations avec le Vlaamse Opera d'Anvers et Gand, le metteur en scène canadien est capable du meilleur (Jenufa à Anvers, Gand et Luxembourg) comme hélas du pire (Lohengrin à la Bastille). Fort heureusement, sa mise en scène est de haute tenue à défaut d'apporter un regard novateur sur l'œuvre. Le concept scénographique transpose l'acte dans une dictature militaire actuelle, aux soldats suréquipés technologiquement. L'ambiance « fin de règne » est rendue par un décor glacial d'un palais en béton en partie détruit par les bombes. Visuellement c'est tout de même très impressionnant et cela prend une ampleur sculpturale sous les éclairages chirurgicaux conçus par Carsen et . La direction d'acteur, très creusée et virtuose, maintient une tension tout au long des trois longs actes de cette partition d'un Mozart de 14 ans. Pourtant, c'est parfois un peu gratuit à l'image de Farnace qui se masturbe alors que sa fiancée lui parle de fidélité ou encore à travers cette débauche de soldatesque figurante.

Musicalement, la distribution est de haute volée. Mitridate incontournable, Bruce Ford connaît les moindres recoins de ce rôle et, en dépit d'une voix sur laquelle passe l'épreuve du temps, il rend à merveille les facettes du personnage. Déjà remarquée à Vienne, la soprano , fait rayonner son personnage : le timbre est lumineux et les aigus faciles. Remplaçant Bejun Metha souffrant, le contre ténor Brian Asawa fait de son mieux, mais il est tout de même à l'étroit dans ce rôle en dépit d'un bel engagement scénique. est elle aussi en phase avec Aspasia, mais les aigus sont difficiles et le timbre n'est pas des plus chatoyants. , et surtout Jeffrey Françis, livrent de très belles prestations.

Bien hélas, la direction musicale n'est pas à la hauteur du plateau. À la tête d'un orchestre de La Monnaie raide et expéditif, se limite à battre la mesure comme un automate à la tête d'une harmonie. Aucunes nuances, aucun rythme dans les récitatifs et aucun travail sur les dynamiques ne viennent parcourir cette longue soirée. C'est dommage car une telle partition, avec ses tunnels lors des très longs airs des actes II et III, nécessite un véritable pyromane dans la fosse.

En conclusion, une très belle mise en scène, de très bons chanteurs, mais un chef d'orchestre plombé, le tout pour une œuvre pas évidente. Le grand choc de cette nouvelle ère dans le théâtre national belge se fait encore attendre.

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