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Le frisson lyrique avec Jenufa

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Luxembourg. Grand Théâtre. 25-III-2007. Leos Janáček : (1854-1928) : Jenůfa, opéra en trois actes sur un livret du compositeur. Mise en scène : Robert Carsen, reprise par Maria Lamont. Décors et costumes : Patrick Kinmonth. Lumières : Robert Carsen et Peter Van Praet. Avec : Eva Jenis, Jenůfa ; Josephine Barstow, Kostelničká ; Menai Davies, Buryjá ; Anne Cambier, Karolká ; Petra Van Tendeloo, Jano ; Beatrijs Desmet, Barena ; Mireille Capelle, La femme du maire ; Inez Carsauw, une bergère ; Marie-Louise De Cort, la Tante ; Evan Bowers, Lacá Klemen ; Yves Saelens, Steva Buryjá ; Russell Smythe, Starek ; Piet Vansichen, le maire du village ; Min Pauwels, première voix ; Thomas Mürk, deuxième voix. Koor van de Vlaamse Opera (chef des chœurs : Jan Vuye), Symfonisch Orkest van de Vlaamse Opera, direction : Friedemann Layer.

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Une salle d'opéra à moitié vide, quelle tristesse ! Alors que le Grand Théâtre de Luxembourg n'accueille qu'une demi-douzaine de productions lyriques par saison, pour un nombre total de représentations assez réduit, voir ce public si clairsemé, ces rangées désertées, ces balcons vides, est désolant.

D'abord pour les artistes, pour lesquels il est toujours plus motivant de se produire face à une salle pleine, pour l'ambiance ensuite, car le grand frisson lyrique a besoin pour se produire de la foule qui se presse à l'entrée du théâtre, des retardataires qui rejoignent leur place en trottinant, de l'électricité que génèrent l'impatience et l'urgence. Aujourd'hui, rien de tout cela, une atmosphère de séance d'exploration du monde, ou de salle de cinéma un lundi après-midi : trop peu nombreux, le public en dehors d'une écoute polie n'inspirera rien aux artistes. Heureusement, invitée à Luxembourg, la Jenůfa de cette matinée est l'une des plus belles productions de l'histoire du Vlaamse Opera, et sa force intrinsèque transcende les contingences. La mise en scène est de , qui signe un spectacle magistral : intelligent, émouvant, et parfaitement respectueux de l'œuvre.

Le dispositif scénique est simple et efficace : un sol de terre battue dans lequel on vient ficher des portes, qui figurent murs et fenêtres de la maison, et sont retirés par les choristes lors des changements de décors. C'est ingénieux et très pratique, et la rapidité avec laquelle cette maison est démontée symbolise bien que dans ce village de Moravie où se déroule l'action, il est bien difficile de garder un secret, et qu'une réputation est très rapidement mise à mal. Dans ce décor, les personnages sont excellemment dirigés : ils bougent et agissent de façon naturelle et crédible, comme s'ils vivaient vraiment dans ce village, et les scènes de foule sont bien réglées. Quelques scènes sont prodigieuses de vérité et de simplicité, par exemple celle ou la sacristaine décide du meurtre de l'enfant, dont les jeux de lumières glacent les sangs, les préparatifs du mariage, d'un réalisme touchant, ou encore la scène finale, la plus belle et émouvante de toutes, dans laquelle Jenufa et Laca s'enlacent, seuls, sous une pluie purificatrice.

La distribution de cette matinée est de très haut niveau, plus forte que lors de la dernière reprise à Gand et Anvers en octobre 2004. est une Jenůfa touchante et fragile, qui commence de façon prudente, donnant un acte I honorable et agréable, mais sans marquer particulièrement les esprits. Elle s'épanouit dans les deux actes suivants, et réalise alors une prestation passionnée, habitée et émouvante, portée par un chant beau, simple et juste, avec ce soupçon de fragilité qui font les grandes Jenůfa. Comme elle, les deux prétendants faisaient leurs débuts dans cette production, et sont tous deux de haut niveau. en Stevá est très crédible dans son rôle de plus beau coq du village, son chant est assuré, puissant, et servi par un timbre radieux. Laca est un rôle difficile, qu'Evan Bowers assume avec brio. La voix est belle, claire et franche, et le chant est nuancé, chaleureux et sincère, et à l'aise sur toute la tessiture.

Depuis la création de cette production en 1999, est la sacristaine. Elle est suffocante de vérité, et véritablement habitée par ce rôle dont elle traduit chacune des nuances : l'amour réel qu'elle a pour sa belle-fille, l'effroi du qu'en dira-t-on, l'horreur que lui inspire l'infanticide qu'elle décide d'assumer, le désespoir qui ne la quittera plus, une fois le geste accompli. La voix est abîmée, le chant se résume parfois à un cri ou à un feulement, mais elle est ce personnage, douloureux, antipathique, mais très humain.

De la Karolká d'Anne Cambier au Starek de Russell Smythe, les petits rôles sont tous très bien tenus : la plupart étaient déjà là en 1999, ils évoluent dans ce spectacle avec aisance et naturel, et chantent tous avec talent et métier, de même que les choristes, particulièrement en verve.

Dirigeant un orchestre impliqué, aux sonorités luxuriantes, laisse respirer la partition, donne du souffle à son plateau, et met en valeur les rudesses et les éclats de l'orchestration.

Peu nombreux, nous l'avons dit, le public réserve cependant une belle ovation à tous les protagonistes de cette représentation, qui malgré tout, lui aura procuré le frisson lyrique. Les absents avaient tort !

Crédit photographique : © Annemie Augustijns

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Luxembourg. Grand Théâtre. 25-III-2007. Leos Janáček : (1854-1928) : Jenůfa, opéra en trois actes sur un livret du compositeur. Mise en scène : Robert Carsen, reprise par Maria Lamont. Décors et costumes : Patrick Kinmonth. Lumières : Robert Carsen et Peter Van Praet. Avec : Eva Jenis, Jenůfa ; Josephine Barstow, Kostelničká ; Menai Davies, Buryjá ; Anne Cambier, Karolká ; Petra Van Tendeloo, Jano ; Beatrijs Desmet, Barena ; Mireille Capelle, La femme du maire ; Inez Carsauw, une bergère ; Marie-Louise De Cort, la Tante ; Evan Bowers, Lacá Klemen ; Yves Saelens, Steva Buryjá ; Russell Smythe, Starek ; Piet Vansichen, le maire du village ; Min Pauwels, première voix ; Thomas Mürk, deuxième voix. Koor van de Vlaamse Opera (chef des chœurs : Jan Vuye), Symfonisch Orkest van de Vlaamse Opera, direction : Friedemann Layer.

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