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« N’est-ce pas, c’est amusant ? » en disait Ravel

De l'Enfant et les sortilèges, opéra ou « fantaisie lyrique » de Ravel, à l'orchestre imposant, a réalisé une transcription chambriste pour quatre musiciens.

Il parvient à conserver au moins pour partie la diversité des timbres de la partition de Ravel – une véritable gageure ! Le piano à quatre mains et les accents âpres ou doux, toujours hautement évocateurs, des flûtes et du violoncelle recréent avec peu d'effectifs la magie de cette partition subtile. S'il manque parfois la véhémence du grand orchestre pour lequel a écrit Ravel, la production diffuse tout de même la savoureuse Danse des rainettes dans l'enregistrement d'Armin Jordan (Erato, 1987). La totale réussite de cette production réside à coup sûr dans la grande cohérence du projet musical et du projet théâtral. Partition plus intime et scénographie au diapason, qui nous plonge dans la chambre stylisée de l'Enfant, déformée par son imagination, et tient le public captivé grâce à de beaux effets spéciaux – certaines grandes maisons d'opéra peuvent en prendre de la graine ! – et une direction d'acteurs efficace avec des numéros d'ensemble très réussis, comme la scène où tous les solistes fondent sur l'Enfant, menés par le Vieillard Arithmétique déchaîné de Jean-Louis Meunier ou encore la scène finale où tous reculent, hypnotisés par la lumière d'un monde qui n'est pas le leur, celui des humains, lorsque la mère de l'Enfant va arriver, attirée par les appels à l'aide.

Preuve de ce succès, la production date de 1989 et compte à ce jour près de 200 représentations (dont celles de Rennes, sur ResMusica). et proposent une vision aussi originale que respectueuse de cette œuvre inclassable et personnifient les objets et les animaux avec goût et inventivité. Le vieux fauteuil et la bergère Louis XV deviennent ainsi un sympathique paysan et une délicate bergère (au sens propre cette fois) costumée à la Fragonard. La tapisserie prend vie et donne naissance à quatre personnages tout droit sortis d'une toile de Jouy. Le Feu devient un sympathique ramoneur. La théière et la tasse nous viennent, elles, des Roaring Twenties américaines pour un fox-trot qui choqua lors de la création mais qui reste aujourd'hui encore tellement réjouissant… A l'entendre, il est facile d'imaginer une Colette librettiste balançant au compositeur du Boléro : « Qu'une terrifiante rafale de music-hall évente la poussière de l'Opéra, allez-y ! ». « N'est-ce pas, c'est amusant ? », disait Ravel…

Les musiciens placés sur scène s'intègrent dans un décor onirique et poétique dû à Christian Rätz et habilement éclairé par . Et sur ce plateau règne une réelle complicité de troupe, dont la diction est l'une des plus remarquables qualités. Mentionnons tout d'abord , à l'incontestable autorité scénique et vocale, Mère autoritaire, Tasse sensuelle et Libellule émouvante, qui nous captive par les accents moirés de sa voix bien conduite. Et puis , toujours juste et sobre, un vrai personnage en Fauteuil ronchon puis un digne Arbre meurtri. Kareen Durand brille moins dans les aigus du Feu – auquel elle confère toutefois un grand intérêt scénique – qu'elle n'éblouit en interprétant avec beaucoup de grâce et de sensibilité la Pastourelle. Simon Jaunin, truculente horloge traumatisée, et Katia Velletaz à qui siéent bien ses deux rôles de complainte complètent avec bonheur la distribution tandis que la voix chaude de Sandrine Sutter apporte l'émotion de l'Ecureuil blessé. Si elle est incontestablement crédible dans le rôle de l'Enfant, on a connu le chant de Gaële Le Roi plus évident, mais cette petite réserve s'explique peut-être par l'investissement qu'elle dépense et un timbre qu'elle n'hésite pas à malmener en vue d'une incarnation réussie.

Crédit photographique : © Vincent Jacques – Angers Nantes Opéra

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