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Manon incontournable avec Dessay et Villazón

Hasard des programmations lyriques, si la saison 2005-2006 fut celle des Così – année Mozart oblige – et que la saison 2007-2008 sera celle des Cenerentola, la saison 2006-2007 fut celle des Manon, avec trois couples vedettes : Netrebko/Villazón à Berlin, Netrebko/Alagna à Vienne et Dessay/Villazon à Barcelone. Le Liceu donnait donc une production exceptionnelle pour les deuxièmes Manon de et le Des Grieux d'un en forme.

Pour ce couple de vedettes, le Liceu rassemblait une belle distribution et la plaçait entre les mains expertes de qui livre une mise en scène fouillée jusqu'aux moindres petits rôles. Pendant que l'orchestre s'accorde, des figurants déjà en scène s'agitent en donnent vie au plateau, commencent à installer une toile de fond. McVicar exhibe la théâtralité avec ses figurants qui applaudissent par moments. Point d'illusion théâtrale donc, nous sommes au XVIIIe, c'est l'époque du spectacle de l'image, du mime, du tableau. On va nous «montrer» le spectacle de la vie de Manon Lescaut. Cette dimension sera toujours présente avec les gradins en arrière-scène où viennent prendre place pendant l'ouverture des figurants, doubles des spectateurs, qui s'installent, applaudissent puis s'asseyent. Sur l'espace scénique restant, la scène du drame proprement dite, d'autres figurants miment l'action violente du drame qui va se produire et composent des scènes de genre, des gravures à la Hogarth, applaudis par les figurants spectateurs. Ce grand espace est rendu plus intime pour l'acte II chez Manon et Des Grieux grâce à des paravents dont les frères Goncourt auraient auraient souligné le style «canaille» d'un Boucher qui permettent adroitement à Brétigny de tenter Manon tandis que Lescaut s'entretient avec le chevalier Des Grieux. Mais la dimension de théâtre dans le théâtre est toujours présente grâce aux figurants qui épient les deux héros derrière les paravents, graves, comme un chœur antique conscient de l'issue tragique. Tout est léché, des costumes superbes aux couleurs dominantes très XVIIIe, puce, gris, verts, etc.

Dans le tableau du premier acte, fait une entrée remarquable («Je suis encor tout étourdie»), tant pour la diction pure que l'incarnation d'une Manon naïve et charmante. La cantatrice fait un sans-faute. Avec «Voyons Manon, plus de chimères», elle appelle les accents troublés de la jeune fille au tournant d'une vie de plaisir ou de recluse. Juste, sans en faire trop, elle fait affleurer le trouble qui s'installe en elle, moment qu'elle passe devant un grand miroir, telle Thaïs. Les phrasés sont délicats, les nuances subtiles. Qu'ajouter sinon que l'air du Cours-la-Reine est anthologique et que l'»adieu notre petite table» ne le cède en émotion qu'à la scène finale ? Et le véritable talent est sans doute dans l'expression de l'émotion qui ne verse pas dans le gros sentimentalisme mais la tendresse retenue, les non-dits de Manon et de Des Grieux.

apparait quant à lui en état de grâce pour cette série de représentations, pourtant donnée en pleine crise vocale. L'air du rêve est soigné, terminé sur une longue et chaude mezza voce qui appelle une immédiate ovation du public. Le personnage est interprété avec vérité, gauche et touchant, et la voix reste toujours riche et veloutée. «Ah fuyez» vous tirerait les larmes tant le timbre est envoûtant même s'il est vrai que le français est une langue rebelle dans un gosier non aguerri à ses subtilités. L'ensemble du plateau, malgré une prononciation honorable pour une distribution majoritairement non francophone, démontrant la difficulté avec les voyelles et la clarté d'émission du chant français.

Plein de prestance en Comte des Grieux, ne saurait toutefois cacher le vieillissement d'une voix qui accuse désormais un trop large vibrato. Manuel Lanza («Ne bronchez pas, soyez gentille») Francisco Vas et font du bon travail, les seconds plus musiciens et stylés que le premier toutefois. Les trois actrices sont également bien en place, menées par la Poussette pétulante de Christina Obregon.

Un DVD incontournable, avec une image superbe, digne des meilleurs films à costume, un orchestre romantique avec de superbes pupitres de cordes et une direction attentive aux exigences du chant. Dans un tournant de sa carrière, qui la voit considérablement évoluer dans ses choix de rôles (bientôt Violetta !), Dessay impose sans peine la conception d'une Manon confiée à une voix d'essence légère, là où la tradition a consacré les pures lyriques.

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