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Itinéraire boulézien en trois « éclats »

« Du Spirituel dans l'art », cycle Boulez

Dans le cadre de la thématique « du spirituel dans l'art, autour de » qui se poursuit jusqu'au dimanche 16 décembre, l' s'était déplacé – la chose est assez rare – dans la salle des concerts de la Cité de la Musique, cet espace modulable offrant, mieux que la salle Pleyel, sa souple conformité à toutes les expériences sonores, en l'occurrence, ce mercredi soir, à celle de Rituel in memoriam Bruno Maderna de écrite en 1974, dont les huit groupes instrumentaux exigent une disposition spatiale soigneusement prescrite par le compositeur. Placé au centre du public et au cœur d'un univers sonore richement déployé, allait régler cette « cérémonie du souvenir » dans l'ordonnance de ses quinze séquences avec l'autorité et le calme d'une gestuelle presque hiératique. On ne pouvait s'empêcher de penser que ce Tombeau du compositeur vénitien Bruno Maderna – l'un des amis les plus chers de Pierre Boulez – qui résonna ce soir avec une intensité particulièrement poignante et une écoute d'une concentration rare, était aussi un hommage ému rendu à Karlheinz Stockhausen, celui qui aimait partager avec ses interprètes et son auditoire ces instants privilégiés de communion où la musique exerce pleinement son pouvoir hypnotique.

Après une pause, bienvenue dans une telle circonstance, l' réinvestissait le plateau dans la disposition frontale traditionnelle pour interpréter sous la baguette de son chef , l'œuvre attendue d', Hélios Choros III sous-titrée Sun God Dancers (les danseurs du dieu soleil), troisième volet d'une partition d'envergure de quarante-cinq minutes, commande de l' et donnée ce soir en création mondiale.

Compositrice américaine invitée par les plus grandes phalanges internationales, confirme ici l'éminence de son métier par un traitement original et risqué des masses sonores dont elle recherche la puissance résonante, la découpe incisive et l'éclat solaire comme dans ce déferlement de percussions scintillantes venant submerger l'ensemble orchestral dans un effet très impressionnant ; sans débordement cependant puisque cette montée dionysiaque s'abîme dans un solo de violon qui ponctue l'œuvre dans une atmosphère aussi intense qu'énigmatique.

Du fond de la salle où il était venu écouter l'œuvre d', Pierre Boulez revenait sur le devant de la scène – les concerts à deux chefs font toujours un peu désordre ! – pour diriger la troisième pièce de la soirée, Eclats/Multiples dans sa version de 1971. Révisée et augmentée de « Multiples » – elle passe de huit à trente minutes ! – la partition d'Eclats/Multiples offre clairement un double visage : Le » bijou » délicatement ciselé d'Eclats, « une œuvre de chef d'orchestre pour chef d'orchestre » comme la définira Dominique Jameux, soulignant sa qualité d'œuvre ouverte dont Boulez façonne librement le parcours et nous fait savourer les subtils alliages sonores des combinaisons instrumentales. Pour l'extension de Multiples, neuf altos et un cor de basset – le goût personnel de Boulez pour les tessitures moyennes – viennent grossir l'effectif initial. D'une écriture totalement différente, cette seconde phase de l'œuvre s'engage dans les réseaux labyrinthiques d'un développement rigoureux qui sonne de manière beaucoup plus terne et nous fait regretter la séduction sonore des premières pages.

On notait la présence, aux côtés des membres de l'Orchestre de Paris, de certains solistes de l'Ensemble Intercontemporain, le percussionniste Vincent Bauer en particulier qui donnait ce soir son dernier concert – bienvenue à Gilles Durot qui le remplace – et recevra des mains de son premier directeur un touchant bouquet de fleur pour son départ à la retraite.

Crédit photographique : Augusta Read Thomas © DR

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