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Il Sant’Alessio, magie et fastes du baroque de Stefano Landi

Après Caen, Londres, New York, Paris et avant Luxembourg en février prochain puis Genève en 2011, la tournée de et des Arts Florissants avec Il Sant'Alesssio du compositeur romain fait une halte pour cinq représentations à l'Opéra National de Lorraine.

La curiosité de découvrir une œuvre qui s'insère dans les tout débuts de l'opéra baroque romain, et même dans les tout débuts du genre opéra, trente-deux ans seulement après l'Euridice de Peri (1600) et vingt-cinq ans après l'Orfeo de Monteverdi (1607) s'alliait à l'excitation d'une distribution entièrement masculine, conforme aux canons de l'époque de la création, pour apporter à cette soirée ce petit supplément d'électricité qui accompagne tout événement attendu.

L'ouvrage, pourtant, pouvait paraître rébarbatif en première approche. Par son livret d'abord, dû à la plume du futur pape Clément IX, d'un didactisme appuyé propre à la Contre-Réforme et d'un caractère lourdement édifiant, confinant à la bondieuserie, difficilement acceptable par nos sensibilités modernes ; le Saint Alexis du titre gagne, en effet, la sainteté en abandonnant femme et parents et en vivant et mourrant en ermite sous l'escalier de la maison paternelle, indifférent aux plaintes de ses proches sur sa disparition. Par son style ensuite, succession de récitatifs sans grand air alla moderna facilement mémorisable. La perspective annoncée de deux heures de plaintes et de déplorations sans entracte – puisque le prologue et les deux premiers actes sont donnés d'une traite – pouvait en rebuter plus d'un, même des plus aguerris…

Et pourtant ! Aucun temps mort, aucun ennui, durant les deux heures et quarante minutes du spectacle. L'œuvre alterne très efficacement le recitar cantando avec des moments de pure comédie (les interventions des deux domestiques Curtio et Martio), des chœurs, des intermèdes dansés et ose des ensembles à plusieurs voix ainsi qu'une véritable ouverture tripartite, la première du genre. La scénographe Adeline Caron a conçu un décor en forme de palais, d'architecture classique, dont les trois ailes mobiles permettent de varier à l'infini les perspectives. Le metteur en scène en joue en virtuose, multipliant les entrées toujours très naturelles, faisant apparaître les chanteurs aux fenêtres ou par les escaliers, introduisant le carnaval romain – l'opéra fut crée durant le carnaval de 1632 – par une ruelle apparue comme par magie. La gestuelle très emphatique (au bon sens du mot), inspirée de celle de l'âge baroque, souligne le discours et en renforce les mots-clés. Les riches et très variés costumes d'Alain Blanchot et les lumières de Christophe Nallet, qui recréent de façon convaincante l'éclairage à la bougie, font le reste. Ce spectacle est un pur enchantement visuel, qui rappelle les splendeurs de Titien ou de Véronèse ou, pour rester à Rome, de Raphaël.

La distribution affichait deux stars, des contre-ténors : et . En raison d'une indisposition qu'on lui souhaite la plus courte possible, le premier a dû céder l'interprétation du rôle-titre à un jeune sopraniste de vingt-six ans, . Témoignage de la qualité du travail d'équipe, celui-ci s'est coulé avec une apparente facilité dans ce personnage qu'il possédait vocalement et scéniquement. La voix est ductile et l'aigu aisé, quoique moins lumineux que celui du titulaire défaillant, l'interprétation très honorable et l'émotion bien présente. Un perceptible trac lui a occasionné un médium légèrement voilé et quelques défauts de soutien dans les tenues aiguës mais ce ne sont que broutilles.

En l'absence de « Jarou », la star incontestable de la soirée fut en épouse délaissée. On ne sait que louer le plus chez cet admirable chanteur : un timbre d'une pureté surnaturelle, un aigu éthéré et magique, une souplesse remarquable qui lui autorise des sons filés sublimes mais aussi des accès de violence, une interprétation très riche qui rend totalement convaincant son travesti, du désespoir à la fureur. A ses côtés, aucune monotonie dans l'accumulation inouïe de contre-ténors aux timbres et aux personnalités contrastées. Tous concourent à la réussite de l'entreprise : la Mère très « matrone » de , à la vocalité pas toujours très orthodoxe mais diablement efficace, les bondissants et drôles Curtio de et Martio de José Lemos, la très belle voix de la Nourrice de , la noblesse de dans la double allégorie de Rome et la Religion. Il faut y ajouter les deux voix de basse, claire et joliment timbrée chez l'Eufemiano d', sombre et aux graves d'une profondeur diabolique chez le Démon de Luigi di Donato. Plus difficilement assumée par le ténor Ryland Angel, la tessiture du rôle d'Adrasto l'oblige à recourir à deux émissions vocales un peu trop différenciées.

A la tête de ses chers Arts Florissants, dans une fosse rehaussée pour l'occasion, démontre tout l'intérêt qu'il porte à cette œuvre. Dirigeant du clavecin et de l'orgue, avec une remarquable économie de gestes, il apporte une attention soutenue à tous les chanteurs et se régale des contrastes rythmiques et des alliances de timbres que contient la partition. Enfin, le Chœur des Arts Florissants associé à la Maîtrise de Caen réussit la gageure d'associer sans hiatus voix adultes et voix d'enfants.

Au rideau final, un véritable triomphe – du moins à l'aune des habitudes locales, d'ordinaire plus réservées – est venu saluer l'ensemble des artisans de cette soirée en tous points exceptionnelle.

Crédit photographique : (le Démon) © Nathaniel Baruch

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