- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Les poings dans les poches… même non crevées !

« Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées… », mais pourquoi cette soirée à Avignon en demi-teinte ? Les voix ? Globalement belles. Les lumières, costumes, décors ? Pas de reproche fondamental. La musique ? bien interprétée. Alors ?

Pendant toute la première moitié de cette Bohême, chacun semblait chercher le ton juste, dans le jeu comme dans la voix. était une Mimi déjà transparente, Karen Vourc'h, habituellement lumineuse, n'était pas dans son meilleur rôle en grisette… ni même parfois dans la tonalité. , dont on connaît les qualités de fantaisiste, était « forcé » dans le rôle de Benoît.

Heureusement il y eut une seconde partie, avec deux actes compensant largement l'impression mitigée du début. Toutes les voix étaient alors parfaitement à leur place, Musetta était devenue flamboyante et solaire, sans pour autant faire de l'ombre à Mimi ; la scène même de la mort de l'héroïne, si redoutable, s'était révélée d'une sobre évidence, dans la simplicité d'un dernier souffle, tant Mimi semblait déjà hors du monde depuis longtemps, alors que demeurait en fond de scène la bougie allumée par Musetta. Les trois compagnons ( surtout, Sergeï Stilmachenko, et Eric Martin-Bonnet, en Marcello, Schaunard et Colline), eux comme en Rodolfo, avaient confirmé tout au long de la soirée leur bonne tenue.

On apprécie là ces nouvelles générations d'artistes lyriques, qui, tout autant que des voix, savent montrer des corps et des visages, des artistes qui bougent, qui jouent pleinement. Ce glissement de l'opéra vers le théâtre, moins conventionnel sans doute, ne peut que lui attirer de nouveaux publics, et l'on s'en réjouit.

Continuons les satisfecit. Toutes les nuances de la musique de Puccini ont été admirablement servies par l'orchestre, legato, glissando, tout en souplesse et en sensibilité, malgré une direction parfois imprécise.

Mais alors, d'où nous vient cette impression de demi-réussite seulement ? Certains solistes de l'orchestre, rencontrés à l'issue du spectacle, ont reconnu l'incontestable supériorité de la représentation précédente. Pour notre part (et avec d'autres spectateurs), nous pointons du doigt la mise en scène. Le théâtre dans le théâtre, ou le cinéma sur une scène de théâtre, c'est une astuce efficace pour donner au drame intimiste de La Bohême un élargissement opératique, comme nous avions pu le constater il y a quelques années à Nancy. Mais encore faut-il une cohérence dans le propos, et une réelle audace dans l'exploitation. L'universalité des situations et des sentiments n'est pas inévitablement rendue par une transposition à l'époque de la Libération ; si celle qu'avait offerte de La Traviata en novembre (décors, costumes, et projection quasi subliminale de diapos de femmes tondues, différemment reçue par le public) nous avait paru apporter une force indéniable et une cohérence à l'ensemble, celle de en revanche n'a pas convaincu tout le public : un simple projecteur sur la scène, et des affiches faussement vieillies de Godard, « c'est un peu court, jeune homme », aurait dit Cyrano ! Il eût fallu plus de panache, plus d'invention !

C'est pourquoi, à l'issue de la représentation, « je m'en allais, les poings dans mes poches crevées », et nous rêvions d'autres bohêmes…

Crédit photographique : (Rodolfo) & (Marcello) ; (Mimi) & (Rodolfo) © Cedric Delestrade/ACM-STUDIO

(Visited 230 times, 1 visits today)