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Résurrection scénique de Il Crociato in Egitto

Avec ce DVD, l'éditeur Dynamic offre la rare opportunité d'assister à la première reprise scénique depuis le XIXe siècle du rare Croisé en Egypte, œuvre charnière dans la carrière de puisqu'il s'agit du dernier des six opéras qu'il composa en Italie mais qui annonce, par bien des aspects, le Grand Opéra français que le compositeur d'origine allemande allait développer dès son installation à Paris l'année suivante.

La partition montre clairement tout ce qu'elle doit à Mozart et surtout à Rossini : architecture en grandes scènes avec aria puis cabalette pour chacun des solistes, surabondance des ornements vocaux, chant mélodique le plus souvent confié aux bois ou aux vents, les cordes se contentant de scander la pulsation rythmique. Le futur Meyerbeer s'y montre pourtant déjà dans la recherche de timbres instrumentaux rares (cor anglais notamment) et surtout dans la construction d'impressionnants ensembles, comme le final du 1er acte qui oppose deux orchestres et deux chœurs avant d'y intégrer l'ensemble des solistes.

Le livret, riche en rebondissements et en renversements de situation – un peu trop même pour être crédible – est dû à la plume de Gaetano Rossi, déjà auteur de Tancredi et Semiramide de Rossini. Sur fond de sixième croisade et de conflit religieux entre croisés catholiques et égyptiens musulmans, il nous conte les affres de Palmide, fille du sultan de Damiette Aladino, qui a épousé secrètement et a eu un enfant de Elmireno, chef de guerre de son père et appelé à lui succéder. Mais Elmireno n'est autre que le chevalier chrétien Armando d'Orville, réputé mort au combat, qui a préféré cacher sa réelle identité pour sauver sa vie. C'est alors qu'arrive une ambassade de croisés, menée par di Monfort, oncle d'Armando, et où se cache sous un travestissement Felicia, ex-promise d'Armando. La vérité et le conflit éclatent. Après moult péripéties, le lieto fine nous montrera le sultan magnanime laissant partir sa fille et son petit-fils pour Rhodes avec Armando et ses coreligionnaires. Bien qu'ayant fait le succès de Meyerbeer à travers toute l'Europe, l'œuvre fut l'une de ses premières à sombrer dans l'oubli, ne bénéficiant plus que de rares versions de concert. Fidèle à sa riche histoire, le théâtre vénitien de La Fenice, où l'ouvrage fut crée le 7 mars 1824, a choisi de le reprogrammer. Initialement prévue en 2006, cette authentique ressuscitation scénique n'a pu finalement être menée à bien que début 2007, en raison de coupes sombres budgétaires. C'est elle que nous présente ce dvd.

Du côté des voix féminines, la distribution est plutôt heureuse. Pour le rôle de Palmide, possède l'art nécessaire et accompli du chant élégiaque et du chant orné : colorature brillantes, trilles parfaits, suraigu sûr et bien placé. Rien à redire sur le plan vocal. Elle peine cependant à faire vivre son personnage, à nous intéresser à ses tourments, peut-être trop absorbée par les difficultés indubitables du rôle. Elle n'est pas non plus avantagée par la réalisation vidéo, où abondent les gros plans qui surexposent ses dandinements et les contorsions de son visage quand elle vocalise. réussit également une très belle Felicia. Sa longue voix de mezzo, aux graves pleins d'autorité, capable à la fois d'agilité et de legato, domine sans faiblesse les embûches d'un rôle conséquent.

Côté masculin, les satisfactions sont nettement moindres. En sultan Aladino, déçoit ; trop clair de timbre, manquant de profondeur dans les graves et d'autorité dans l'émission, il ne parvient jamais à être menaçant ou à nous faire croire en sa fureur. Dans le rôle d' di Montfort, le ténor , doté d'une voix assez banale de timbre et un peu nasale d'émission, à l'aigu facile, se débat dans une tessiture bien trop grave pour lui. Quant au rôle éponyme d'Armando d'Orville, il fut crée par le castrat Velluti, une des dernières utilisations de ce type vocal dans un rôle de primo uomo. Dans un souci d'historicisme, La Fenice l'a donc confié à un sopraniste en la personne de Michael Maniaci. Le résultat est pour le moins déconcertant… La voix longue, à l'aigu étonnant, possède certes l'ambitus du rôle. Mais le timbre blanc, sans capacité de coloration, apanage habituel de ces voix de falsettiste, finit vite par lasser et lui interdit toute caractérisation dramatique. Et si on l'entend parfaitement, c'est la prise de son faite de très près qu'il faut remercier car il est fort douteux qu'il ait été aussi audible en salle, en particulier dans les ensembles.

L'œuvre est très longue (3h40), l'invention mélodique plutôt banale et l'orchestration souvent lourde. Et la réalisation scénique de parachève l'ennui poli qui s'installait peu à peu. Le seul élément marquant de sa scénographie est la spectaculaire arrivée du splendide vaisseau des émissaires chrétiens. Les jolis costumes, opposant les tuniques, voiles et turbans chamarrés des musulmans aux uniformes noirs et blancs des croisés, ne suffisent pas. Le grand velum marqué du mot « Dieu » en caractères arabes auquel fait un contraste appuyé la voile frappée de la croix de Malte, le jeu de paravents pour délimiter les scènes plus intimistes, tout cela fait « cheap » et ne peut en aucun cas évoquer les fastes scéniques que nous ont rapportés les contemporains de la création. Quant à la direction d'acteurs, elle multiplie les gestes convenus comme se rouler par terre pour montrer sa détresse ou lever la main à hauteur du visage pour souligner un moment particulier. Sans parler des multiples agenouillements et des salutations viriles, mains posées réciproquement sur l'épaule ! La direction propre mais trop sage et sans aspérité de , à la tête d'un qui sonne bien grêle dans cette prise de son et d'un chœur assez maigrelet ne contribue pas non plus à animer le spectacle. La réalisation vidéo de Tiziano Mancini s'y essaye en multipliant avec virtuosité les prises de vue et en alternant vues d'ensemble et très gros plans mais ne parvient qu'incomplètement à réveiller l'intérêt.

Force est donc de reconnaître que, pour courageuse qu'elle ait été, cette recréation scénique n'est pas parvenue à rendre pleinement justice à l'œuvre de Meyerbeer, par manque d'ampleur scénique et par une distribution vocale masculine globalement inadéquate. Un dvd à réserver aux fans de Meyerbeer ou de et aux musicologues curieux.

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