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Un Don Carlo en demi-teintes

Difficile de résumer la complexe intrigue de Don Carlo… religion, consanguinité, trahison et pouvoir restant les grandes lignes directrices du drame.

De son avatar français, destiné par Verdi à l'Opéra de Paris, l'acte de Fontainebleau a disparu, dans la présente production aux mérites pour le moins inégaux. Si la mise en scène de soignée, dépouillée, se signale surtout par son statisme, on ne pourra adresser le même reproche à la direction de , dont les acrobaties, bonds de cabri et autres spectaculaires ramenés de cheveux seraient de nature à alimenter tout un spectacle plus…ludique ! Il serait certes injuste de ne pas lui faire crédit de quelques heureux détails, de quelques judicieux éclairages musicaux (le prélude du troisième acte, par exemple), mais ce n'est pas par la délicatesse des nuances que brille sa performance, constamment ballottée du pianissimo au fortissimo. Quant à son amour des cuivres, il lui est superlativement rendu, au point que le spectateur non averti pourra vigoureusement applaudir, au baisser de rideau, ce qu'il aura pris pour un robuste et sonore « concerto pour cuivres avec accompagnement du chœur et des solistes » ! Qu'un chef lyrique s'arroge le droit de ne laisser aux chanteurs qu'une autonomie minimale est déjà gênant en soi, des artistes consacrant leur vie et leur carrière au chant n'ayant assurément pas à être traités comme des délinquants en liberté surveillée. Mais où l'affaire devient fâcheuse, c'est lorsque ce même chef, au mépris de tout équilibre entre plateau et orchestre, fait surgir – surtout à l'occasion des ensembles – un infranchissable « mur du son » entre les protagonistes et la salle. Sinon, les chœurs de Bastille restent à leur niveau éminent, mais là encore la direction ostentatoire du « maestro » ne fut pas de nature à assurer leur indispensable unité, surtout lors de l'autodafé où l'affaire tourna à la panique générale.

Quant à la distribution, peut-être était-elle trop prometteuse pour ne pas susciter une légitime déception. Ainsi de qui campa un Filippo II charismatique mais, en dépit du soin de l'émission et de la musicalité du timbre, l'usure de la voix est patente par moments. Aucune réserve de cette nature, en revanche, au sujet de l'excellent , parfaitement crédible en Rodrigo ; la mise en route a certes pu inquiéter, par un certain engorgement des sons, mais très vite, et tout au long de l'opéra, la voix a gagné en force. Longueur de souffle impressionnante, pertinence dramatique pour la scène de la mort… et de grands moments en prime, pour « Per me giunto il dì supremo » et « Ô Carlo ascolta ».

Pour en princesse Eboli, il est difficile de se prononcer, tant l'erreur de distribution semble flagrante, le rôle ne lui convenant vraiment pas. Même, « Nei giardin del bello saracin ostello » put laisser présager une catastrophe… changements permanents de tessiture, aigus stridents, etc. Il est juste de relever la bien meilleure tenue de « Ô Don fatale », en dépit d'une justesse approximative. En Grand Inquisiteur à la voix superbe, a, pour sa part, été servi par une mise en scène judicieuse, l'abîme séparant son fanatisme de la raison du roi étant matérialisé par un grand panneau.

Du reste des interprètes, le public aura, avec raison, pensé du bien, tant à propos de la voix céleste d' que de celle de , en très honnête Elisabeth à laquelle il faut juste souhaiter un peu moins de retenue au hasard des représentations à venir. On conclura enfin sur une note triomphale, avec l'Infant de , voix magnifique et d'une juvénile puissance, projetée avec la même et rayonnante énergie au long des quatre actes, écho souverain d'un Verdi au sommet de son génie.

Crédit photographique : © A. Poupeney Opéra national de Paris

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