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Welcome to the voice : et si Sting n’était pas là ?

La sortie en CD n'avait guère convaincu. La création scénique ne convainc pas davantage. La volonté de spectacle d'« art total » voulue par le Châtelet est sans commune mesure avec les ambitions visionnaires de Wagner à Bayreuth au XIXe siècle.

La rencontre de divers styles musicaux sous la plume de s'est révélée être une copulation frénétique dont le public a assisté à l'accouchement douloureux au Châtelet. L'enfant est informe : ni comédie musicale, ni opéra. Mais compositeur et librettiste l'ont qualifié d'art lyrique. Respectons donc dans nos colonnes leur volonté.

, directeur des lieux, devrait prendre leçon de l'histoire : les rencontres improbables ne font pas souvent de chefs d'œuvre. Ida Rubinstein a essayé bien avant, il ne nous est guère resté que Le martyre de Saint Sébastien (avec un texte largement tronqué) et Jeanne d'Arc au bûcher, ces deux œuvres étant plus portées par les noms de leurs compositeurs que de leurs écrivains. Car dans un spectacle musical, finalement, qu'est-ce qui compte plus que la musique ? Rien d'autre, et c'est bien là que le bât blesse : la partition de est d'une platitude navrante, sans invention, pauvre rythmiquement, harmoniquement, mélodiquement et instrumentalement. L'oreille n'a guère été interpellée que par les improvisations des quatre solistes instrumentaux (dont le compositeur aux claviers !), bref par ce qui n'a pas été écrit… L' et Wolfgang Dœrner ont fait ce qu'ils ont pu : pas grand-chose, mais avec professionnalisme.

Il y avait pourtant matière à créativité musicale dans le livret onirique de . Dionysos, ouvrier grec émigré aux Etats-Unis, est passionné d'opéra et amoureux de la cantatrice Lily. En rêve, Carmen, Cio-Cio-San et Norma le poursuivent, le hantent, jusqu'à la folie. Dans la réalité, son harcèlement envers Lily provoque l'hilarité de son ami et l'irruption des forces de police, mises en minorité lors d'une manifestation d'ouvriers menacés de licenciements. Mais même les trois apparitions d'héroïnes d'opéra n'ont pas provoqué au moins un pastiche de ce qui se veut un hommage à l'amour de l'art lyrique. Si Carmen a droit à deux ou trois espagnolades, si Norma a une ligne vocale un peu ornée qui tranche avec le récitatif constant utilisé, Cio-Cio-San (rebaptisée trop hâtivement « Butterfly ») flirte plus avec la mauvaise opérette française d'entre-deux-guerres qu'avec Puccini.

Si la musique ne suit pas, peut être l'intérêt viendra-t-il de la scène ? Même pas. Autant a su écrire un livret intelligent, autant sa direction d'acteur est inexistante. Les chanteurs sont livrés à eux-mêmes sur le plateau, le plus souvent statique, et les quelques mouvements suggestifs, comme les trois fantômes en train de se peloter devant Dionysos endormi, nous ont semblé assez énigmatiques… Le dispositif scénique de , les costumes évocateurs de et les lumières finement dosées de ne suffisent pas à relever le niveau.

Reste les voix. Mal sonorisées ! Tout est asséné directement dans les oreilles des spectateurs, sans le moindre souci de relief sonore. Les quatre chanteuses d'opéra défendent comme elles le peuvent, avec leurs admirables moyens – en tête, cette partition sans queue ni tête. Jœ Summer est un ami de Dionysos crédible. agace plus qu'autre chose. Sting… bien qu'entouré de rien, sauf de ses partenaires de scène, la star domine le plateau et porte la production à bout de bras. Le public, insensible aux allusions à l'actualité du livret (le Taser avec lequel Costello menace tout le monde par exemple), n'est venu que pour lui.

Et Welcome to the voice sans Sting, ça donnerait quoi ?

Crédit photographique : (le fantôme de Carmen) & Sting (Dionysos) © Marie-Noëlle Robert

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