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Merveilleux Chevalier…

La rumeur avait depuis quelque temps circulé, dans tout Paris, d'une représentation exceptionnelle – assurément sans précédent et probablement sans retour – du Chevalier à la rose.

Non point une reprise ordinaire du chef-d'œuvre de , mais la fameuse production qui, au tout récent Festival d'hiver de Baden-Baden, avait ébloui un public, certes privilégié, mais pour cela même rompu à toutes les formes de l'excellence lyrique. Nulle surprise, donc, à ce que plus d'une heure avant le lever du rideau parisien, les abords du Théâtre des Champs-Élysées se soient signalés par une foule compacte et agitée, composée pour une bonne part de postulants à un strapontin libéré à la dernière minute.

En matière de distribution, qui eût pu rêver mieux ? Trois rôles majeurs assurés par les trois cantatrices les plus en mesure, actuellement, d'incarner les figures complexes de la Princesse, d'Octavian et de Sophie, trois certitudes, ou plutôt trois promesses, toutes les trois tenues la main haute, d'une soirée au sommet. Grande habituée du rôle, , incarnait une Maréchale toute de hautaine majesté et de fastueuse élégance – à l'image de sa robe (créée par John Galliano pour le Gala d'ouverture du Metropolitan Opera) auront sans doute pensé nombre de spectateurs. Pour les mélomanes, l'important était ailleurs, dans la perfection de la ligne vocale par exemple, notamment dans le registre aigu où son timbre touchant continue, au fil des ans et des saisons, à dispenser des émotions d'une saveur inconnue. Que la tenue de ses notes graves ait été d'une moindre qualité, en dépit du son apporté à leur émission et de la qualité du timbre, n'aura que très peu altéré l'impact de sa performance scénique.

Confrontée à une telle partenaire, la Sophie de a judicieusement fait le choix d'un moindre éclat, mais au profit d'une justesse dans l'expression vocale et d'une finition prosodique compensant surabondamment ce qu'on eût pu lui reprocher de relative pâleur et de moindre prestance. Quant à en Octavian, il nous plaît de croire que a très exactement écrit, par anticipation, ce rôle magnifique pour cette jeune chanteuse, tant elle y marie virtuosité et musicalité avec une déconcertante facilité. Le public ne s'y est d'ailleurs pas trompé, réservant le suffrage de ses plus chaleureux applaudissements à une artiste qui aime à rappeler comment un échec initial (au chœur de la Sorbonne !) fut le hasard déterminant de son étincelante carrière. La difficulté, dans une production de qualité supérieure, c'est que le moindre manquement y fait figure d'impertinente défaillance. Ainsi de la prestation de qui, peu à l'aise dans les parties graves et cédant trop souvent à la tentation d'un laborieux parlando, échoua à camper le portrait d'un baron Ochs échappant au poncif du barbon ridicule.

Que dire du reste de la distribution, sinon que rien, vraiment rien, n'aurait pu, ce soir-là, y prêter le flanc à la moindre réserve ? Certes, les mauvaises langues et les bons esprits ne s'étaient pas fait faute de rappeler, avant la représentation, que Baden-Baden s'était « offert » Jonas Kauffman dans le rôle du chanteur italien. Mais il faudrait faire preuve d'une singulière mauvaise foi pour prétendre qu'avec Ramon Vargas, d'une solidité et d'une présence qui finissent par ne plus surprendre son public, Paris aurait perdu au change !

Quant à l'orchestre de la Philharmonie de Munich, il aurait touché là, sous la direction de , grand habitué de , à la perfection (cordes irréprochables de justesse et d'homogénéité, bois dosés à merveille, cuivres rutilants…) sans une certaine raideur, un évident manque de rondeur dans les moments de suspension dramatique, de rubato dynamique, par exemple dans l'incipit du second acte ou encore dans le merveilleux trio final. Reproche bien faible, on en conviendra, et qui relève plus du jugement esthétique – donc discutable par essence – que du procès artistique. Ne serait-il d'ailleurs pas mal venu de bouder ici notre plaisir ?

Relativement à la production de Baden-Baden, celle de Paris aurait pourtant pu souffrir cruellement de l'absence d'une véritable mise en scène, au profit de ce que les beaux esprits ont depuis longtemps labellisé « mise en espace » (estampille tellement plus convenable que l'irrévérencieux « manque de moyens » !). Point de scénographie rutilante donc, ni de ces mouvements de groupes qui éperonnent l'action… Or, c'est peut-être au cœur de cette faille apparente que s'est fait jour le véritable miracle de ce spectacle tant, scène après scène, la dramaturgie straussienne sembla n'y sourdre – comme dans tous les vrais chefs-d'œuvre du répertoire lyrique – que de la partition et ne désigner d'autres protagonistes que ces notes magiques, d'une beauté parfois surnaturelle, auxquelles les interprètes avaient à l'évidence fait vœu de donner le plus précieux de leur talent. S'il ne fallait garder qu'une image de cette inoubliable soirée, ce serait celle d'un public qui, merveilleusement attentif de la première à la dernière notre, se leva ensuite spontanément pour longuement acclamer tous les artisans d'une si haute réussite.

Crédit photographique : © DR

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