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Cadmus et Hermione, le cœur qui bat, qui bat, qui bat…

Le Grand Théâtre de Provence accueille pour deux représentations la superbe production de Cadmus et Hermione donnée il y a un an, à l'Opéra Comique avec le succès que l'on sait. Une tournée va conduire la troupe ainsi reconstituée vers Caen et Luxembourg.

Il a fallu bien du travail et des répétitions pour retrouver cet esprit de troupe, cette cohésion si amicale qui fait de ce spectacle une fête de l'esprit et des sens. Un public comblé a pu se rendre compte, que ce grand vaisseau si apte à recevoir Janáček permet également de goûter la délicatesse et la variété des nuances infinies de la toute première tragédie de Lully et Quinault. Car une surprise inattendue pour beaucoup tient à l'acoustique de la salle qui a permis de déguster les plus infimes nuances que Vincent Dumestre obtient de son orchestre, et ce dès les premières mesures de l'ouverture d'une souplesse et d'une noblesse extrême, mais surtout nuancée avec grand art.

Tout s'enchaîne ensuite et le public n'a que peu applaudi entre les actes, gardant ainsi intact la magie qui opère si délicatement. En revanche, des tonnerres d'applaudissements à la fin et de nombreux rappels ont prouvé le plaisir rare que donne ce spectacle total. Le DVD a pour l'éternité retenu le spectacle en ses débuts, mais il est important de signaler que ce moment musical rare est si vivant et coloré qu'il ne cesse d'évoluer. Ainsi, une nouvelle Charite s'intègre avec art à la troupe et en mobilise autrement le chant et le jeu théâtral. La voix d' est somptueuse, fruitée et facile. La jeunesse de l'actrice va lui permettre de s'assouplir avec les autres représentations, mais le personnage est là, campé avec énergie.

Autre changement moins visible mais fondamental avec l'utilisation des « Vingt-quatre Violons du Roy » du CMBV, qui apportent une rondeur, une couleur de son très «à la française». Incroyable Mira Glodeanu qui avec un patient travail a su marier les timbres et déployer les qualités propres de chaque instrument, basse, quinte, taille, haute-contre, dessus !Car ce qui est au cœur de la réussite du Poème Harmonique, et cette production n'y fait pas exception c'est la qualité de l'orchestre. est un alchimiste coloriste extraordinaire qui ne bride pas les talents, où peut-on entendre des bassons si expressifs et beaux, des flûtes si délicates, un continuo si varié et vivant ?

Le dialogue entre l'orchestre et les solistes permet de caractériser chaque personnage, favorisant les transitions avec souplesse. André Morsch est un Cadmus au charisme héroïque de plus en plus envoûtant, il forme avec , Hermione, un couple d'amants évoluant vers toujours plus de sensibilité. La magie des adieux est de plus en plus émouvante. Mais tous les autres personnages sont également campés avec une réelle présence vocale et scénique donnant à chaque tableau aussi court soit-il, une noblesse ou une drôlerie idéale (impayable nourrice de Jean–François Lombard), soulignant ainsi toutes les beautés des alternances baroques de cette première tragédie lyrique de Lully. Ainsi la scène de sacrifice à Mars est loin d'être musicalement la plus belle, avec l'apparition de la trompette, la couleur martiale en aurait contenté plus d'un. obtient des musiciens et des chanteurs, dont le magnifique Grand Sacrificateur de , un phrasé et des impulsions dynamiques insoupçonnables… la parfaite harmonie avec les danseurs fait de cette courte scène une réussite.

Le travail patient et extrêmement harmonieux de «restitution» de Benjamin Lazar semble toujours progresser. La très belle gestuelle baroque est de plus en plus naturelle et les relations entre les personnages gagnent encore en subtilité. La cohésion de ce spectacle est totale et fonctionne même dans un lieu si vaste. La recherche de couleurs et d'expressions codifiées et vivantes est la même, elle comble les oreilles et les yeux. Les costumes aux couleurs parfois si crues, sont sublimés par l'éclairage à la bougie comme les couleurs de l'orchestre irisent dans l'espace. Une quintessence de spectacles baroque qui prouve comment en 60 ans, la tragédie lyrique a évolué, faisant le passage de l'âge baroque de Lully à la période classique de Rameau. Ainsi bat et palpite le cœur avec délice, pour le plus grand plaisir des spectateurs des plus Grands Théâtres de Province d'aujourd hui !

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