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Premières armes

Qui gagnera la bataille avec l'Ange ? Certainement pas le méchant Lucifer, retranché furieusement dans son orgueil ! Qui pleure d'une façon si touchante et se lamente sur le mort de Jésus de Nazareth ? Marie-Madeleine et Marie Cleophe éplorées. Quant à Jean, il sait si bien comprendre cette mère que lui a confiée le Sauveur ! Mais le miracle a lieu : même si Marie-Madeleine ne peut toucher celui qu'elle aperçoit à la porte du tombeau, elle comprend que Jésus est là, devant elle ; il a triomphé de la mort et donne un sens à la vie. Le canevas assez statique et rhétorique du librettiste italien, peut paraître à la fois précieux et besogneux. Il est surtout bien conventionnel. Mais un musicien de vingt-trois ans va s'acharner à illustrer ce passage des Ecritures avec tous les moyens éprouvés dont il dispose pour satisfaire son riche commanditaire romain, le prince Ruspoli.

Dans cette œuvre, Haendel a bien compris par quels procédés musicaux on pouvait traduire les «passions»en satisfaisant un public friand d'effets, et ces moyens sont ceux qu'on utilise alors dans l'opéra. Lucifer se répand en invectives furieuses, avec des vocalises menées à un train d'enfer. Jean exprime ses inquiétudes et son espoir par une ligne mélodique mouvante, l'Ange est tour à tour véhément ou consolateur. La forme est sans surprise : ouverture, airs, récits, duos ou trios se succèdent comme on s'y attend. Les structures sont celles de l'ouverture à l'italienne et les airs sont évidemment da capo.

Cette partition écrite avec application est remarquablement servie par les cinq solistes, et chacun d'eux réussit à mettre dans l'interprétation de son personnage de la conviction et une grande sensibilité musicale. Toutes les difficultés techniques sont aplanies sans effort apparent et leur grand art s'exprime, aussi bien dans un legato parfait que dans les arie di bravura à vocalises : l'Ange ouvre le feu avec un air virtuose, dont Emmanuel Haïm souligne la véhémence avec l'emploi d'un tempo accéléré ; et quand évoque la tempête, on croit presque en voir les vagues. Les moments les plus émouvants sont peut-être l'air chanté par pour décrire la tourterelle échappant à l'aigle prédateur, ou ceux de Jean évoquant le lever du soleil ou l'amour du fils et de sa mère dans Caro filio.

De belles parties instrumentales en style concertant soulignent le sens du texte, que ce soit par les timbres des solistes ou par des tutti bien enlevés. Le travail soigné d' fait ressortir avec une certaine sensualité les intentions du jeune compositeur : on pressent déjà le génie sous le talent de celui qui fait alors ses premières armes dans le domaine de la musique religieuse. Plus tard viendront la force et le sens de la mesure, qui feront la grandeur de .

Crédit photographique : © Eric Garault

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