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L’affaire Makropoulos par l’alchimiste Warlikowski

La reprise de L'affaire Makropoulos (mise en scène par et créée à l'Opéra-Bastille en avril 2007) pouvait laisser craindre un relâchement du plateau, comme il en arrive parfois, dans de telles circonstances.

C'était sans compter sur la présence à Paris du metteur en scène polonais, (il prépare sa nouvelle production, Le roi Roger de Karol Szymanowski, pour le mois de juin prochain), qui est intervenu pour maîtriser son travail. Dans ce formidable et brillant spectacle qu'est L'affaire Makropoulos, tout est réfléchi (avec pertinence), mesuré, millimétré, cadré ! L'intelligence du metteur en scène (et de sa décoratrice / scénographe Malgorzata Szczesniak) ne supporterait pas l'approximation dans l'interprétation. Au moment des saluts, une gigantesque ovation a d'ailleurs accueilli Warlikowski et son équipe !

L'affaire Makropoulos est un matériau rêvé, pour tout metteur en scène en manque d'un bon livret ! Considérons la trame première de l'ouvrage : une femme, victime des pouvoirs d'un philtre magique, acquiert une longévité exceptionnelle et traverse les siècles, changeant d'identités et de silhouettes, devenant au fil des années une sorte de fantôme d'elle-même, semant sur son passage la mort, le scandale et le mystère ! Pour parfaire le tout, et accentuer la confusion, elle conserve toujours les mêmes initiales, E. M., comme une «marque» incompréhensible réservée aux initiés : Elina Makropoulos, Eugenia Montez, Eliane Mac Gregor, Elsa Müller, Emilia Marty…

Hierónymos Makropoulos (père de l'héroïne) exista probablement sous un autre nom ! Au château du Hradcin, à Prague, et particulièrement dans la «Ruelle d'or», le roi Rodolphe II encourageait tous les travaux de farfelus extravagants : sa ville était devenue le point de rencontre des «savants fous», des mages et autres alchimistes bizarres… Monteverdi, féru d'occultisme y séjourna même ! Rodolphe II accréditait les thèses les plus insensées, et s'était mis en tête de contribuer à la découverte de la pierre philosophale, qui prolonge l'existence. C'est l'un des fondements de la pièce de Čapek et de l'opéra de  : on l'apprendra de la bouche d'Emilia Marty, au cours de l'acte III.

, metteur en scène atypique, brillant et dérangeant ne pouvait rester indifférent à ces questions essentielles : qu'est-ce que vivre ? Qu'est-ce que mourir ? Et qu'est-ce que le «vouloir mourir» ? Conjuguant brillamment mise en abyme et mise en perspective, s'appuyant sur un étonnant dispositif scénique et un décor luxueux, le metteur en scène tente (sans transposition inutile) de «recadrer» la problématique de cet opéra fantastique : à quoi bon vivre, si l'on sait que l'on ne mourra jamais ? Comment se débarrasser des déceptions, des amours ratées, des deuils, si l'on ne peut en faire… le deuil ? La représentation sans entracte se révèle, ici, d'une rare efficacité !

La soprano , revêt les atours de Marylin Monrœ (servant les impératifs du livret), «monstre sacré» à l'image… immortelle ! Triomphatrice de cette soirée, elle incarne une Emilia Marty magistrale. Gommant les souvenirs d'Anja Silja ou d'Elisabeth Söderström, elle prend un évident plaisir à jouer / chanter les situations décortiquées et analysées dans leurs moindres détails par Warlikowski. Chaque posture, chaque regard et chaque mouvement nourrissent son personnage. Vocalement, elle impose une projection superbe, un timbre d'airain, des couleurs variées (en particulier dans les deux premiers actes, assez «bavards») et porte presque aux larmes dans l'embrasement de l'acte III.

A ses côtés, , et l'excellente font merveille. La direction de Tomas Hanus est précise, sans jamais perdre de vue le lyrisme et les sonorités modernes de la partition. En fin connaisseur de Janáček, il restitue, avec l', le climat quasi cinématographique d'un drame flirtant, avant l'heure, avec les démons de Friedrich Dürrenmatt.

Crédit photographique : (Emilia Marty) ; (Emilia Marty), (Hauk-Sendorf), (Vitek), (Albert Gregor), (Krista) © Eric Mahoudeau / Opéra National de Paris

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