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Une reine et ses musiciens

«La singularité de son destin, sa violence ont fait entrer Marie-Antoinette dans la légende dès qu'elle gravit les marches de l'échafaud.» C'est de ce mythe que part l'historienne Evelyne Lever, pour le livret du spectacle C'était Marie-Antoinette, présenté à l'Opéra Comédie de Montpellier dans le cadre du Festival de Radio France.

L'ouverture la montre la nuit précédant sa mort : «Je vous dis adieu, vous qui portez maintenant ma légende. Mais laissez-moi vous confier ma vérité…» Il s'agit ensuite d'une succession chronologique de tableaux et d'un long monologue – les interventions des autres comédiens sont très limitées et Louis XVI absent. Ainsi, autour de ce personnage pivot qu'est la reine, au jeu souvent frontal et au centre de la scène, s'agitent des courtisans presque interchangeables, les seuls personnages vraiment identifiables étant le comte Axel de Fersen et le surintendant des Menus-Plaisirs, M. Papillon de la Ferté. Natacha Régnier se glisse avec aisance dans les costumes de la reine, sans toutefois la faire véritablement évoluer entre 1770 et 1793. Les tableaux sont entrecoupés d'extraits musicaux, et c'est là toute la cohérence d'un spectacle qui dessine le portrait d'une reine à travers ses goûts. Ne dit-on pas souvent que le style Louis XVI devrait être rebaptisé «style Marie-Antoinette» tant la souveraine faisait et défaisait les modes ? Sur la scène de l'Opéra Comédie, ce sont, plus que les couleurs qu'elle lançait ou les coiffures de Rose Bertin qu'elle adorait, ses musiciens préférés qui nous révèlent une reine. En 1774, c'est grâce à l'appui de la Dauphine que Gluck triomphe avec son Iphigénie en Aulide. Plus tard, Marie-Antoinette soutint Sacchini, et n'améliora pas en cela sa réputation auprès du peuple qui préfèrait Grétry et croyait antinomiques les goûts de la cour et de la ville. L'air de Didon (extrait de la tragédie lyrique éponyme de Piccinni) «Ah ! Que je fus bien inspirée quand je vous reçus dans ma cour» devient ainsi par exemple une rêverie où Fersen tient le rôle d'Enée et Marie-Antoinette celui de Didon, séparés par un rideau de scène reproduisant l'esquisse de Pierre-Adrien Pâris «Trône pour l'Opéra de Didon dans le Palais de Zelisca». La mise en scène de n'est pas sans rappeler l'esthétique de son superbe Don Giovanni, qui, des toiles peintes à la direction d'acteurs, présente un XVIIIe siècle épuré et élégant – des mots qui caractérisent aussi le travail de Milena Canonero pour des costumes inspirés des sources iconographiques mais vivants pour le théâtre et non lourdes reconstitutions.

Outre le destin de Marie-Antoinette, le spectacle de nous fait découvrir l'opéra tel qu'il pouvait être représenté à l'époque de la jeune reine amoureuse des arts. Un premier plan de décor représente un cadre de scène, inspiré du petit Théâtre de la reine à Trianon, avec son rideau bleu incrusté d'or et ses deux grandes torchères. Dans ce cadre où peuvent prendre place les opéras, le décor est fait de nuages représentés par trois plans de décors, sous la forme de gros cumulus menaçants, peints en grisaille, comme la représentation du trouble d'Iphigénie ou d'Hypermnestre. La tragédie lyrique de Rameau à Salieri est ainsi introduite de façon passionnante, d'un point de vue théâtral comme le reflet des affects de la reine et comme fil conducteur du spectacle et d'un point de vue musical en plaçant ces extraits dans des décors et costumes proches de ceux de leur création, ce que plus aucun metteur en scène ne se risquerait à faire aujourd'hui, par peur du ridicule de la représentation d'une Antiquité fantasmée par le XVIIIe siècle. Les solistes sont excellents, Stéphanie d'Oustrac et rivalisant de justesse, de puissance et de musicalité, la première s'affirmant comme l'une des meilleures héritières actuelles de Véronique Gens quant à la déclamation, la seconde ravissant par une ligne de chant très sûre. Un peu moins sollicités par la programmation musicale, Manuel Nuñez Camelino et Ivan Geissler n'en font pas moins du bon travail. et son ensemble font merveille dans ce répertoire, et l'ensemble vocal du festival ne pouvait rêver meilleur chef de chœur qu' dans ces œuvres.

Crédit photographique : Natacha Régnier ; Stéphanie d'Oustrac © Marc Ginot

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