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Ensemble musikFabrik, attention à la chute !

En ouverture de sa saison musicale, l'abbaye de Royaumont propose le dernier volet d'une trilogie d'opéra vidéos, initiée en 2003 avec An Index of Metal, et prolongée en 2008 avec Il Diluvio (le déluge). Dans l'acception du vidéaste , un opéra-visuel consiste en la projection de vidéos, accompagnées par un ensemble instrumental et un dispositif électroacoustique. Voici qui devrait éclairer les plus béotiens d'entre nous sur ce genre, qui n'a somme toute pas grand chose à voir avec les productions opératiques habituelles. Pourquoi pas.

Chute(s) fait appel à deux écrans, sur lesquels sont simultanément diffusées des vidéos complémentaires, qui sacrifient volontiers à un univers esthétisant, plus ou moins réussi. Le vidéaste y approche (plus qu'il n'y traite) des thèmes fondamentaux comme l'amour ou la mort, en trois séquences contrastées et dépourvues d'une quelconque trame narrative, dont chaque illustration musicale est confiée à un compositeur différent. On notera au titre de l'unité générale de la pièce le spectre de couleurs largement dominé par le rouge, le blanc et le noir, omniprésents tant dans les décors que les costumes des divers protagonistes, lesquelles couleurs sont difficilement rattachables à une symbolique particulière.

La première séquence, «Charge», nous montre une sorte de duel suspendu entre une femme et une carcasse de bœuf ou un homme nu, le tout dans un décor post-industriel rongé par la rouille, qui grouille bientôt des charmantes créatures que la viande n'aura pas tardé à attirer. Pour accompagner cette séquence, a composé une partition nerveuse, très présente, dans laquelle il fait appel à des effets particuliers, comme l'obturation du pavillon de la trompette par une feuille d'aluminium, qui donne à cet instrument un son plus velouté.

L'atmosphère change de façon radicale dans les deuxième et troisième séquences. «Tunneling» est de loin la partie la plus abstraite de l'œuvre : elle convoque des jeux de lignes colorées, des apparitions de personnages avachis dans un effet de clair obscur indécis, ou encore des montages de séquences pornographiques, progressivement remplacées par de petites flammes spectrales. «Staub» enfin alterne des images de veillées funèbre, des effets de miroir, des scènes comme tirées d'un remake apaisé de La Grande Bouffe, avec pâtisseries, côtelettes et pieds de porc, qui ne tardent pas à ramener nos amis rampants et grouillants de «Charge». Les deux partitions correspondantes répondent à une forme tripartite lent-vif-lent, simple mais efficace. Volontiers méditatives, elles tirent pleinement profit du dispositif électroacoustique dans les longues plages sonores des parties extrêmes, que rien ne semble pouvoir troubler.

De manière générale, il semble que la collaboration Pachini-Jarrell soit la plus féconde de toutes. Alors que «Charge» exemplifie le fameux paradoxe de Zénon, la musique courant après les images sans jamais pouvoir la rattraper, choisi une illustration sonore très étale, épurée, dont le sombre ronronnement des bols tibétains renforce le caractère mystérieux. Jarrell a compris, plus que même, l'écueil inhérent à la cohabitation de la musique et de l'image, à savoir que bien souvent ces deux arts s'annulent mutuellement, comme l'avait démontré la récente mise en scène du Tristan à l'Opéra Bastille, de triste mémoire. Pour l'éviter, il propose donc une pièce toute faite d'ambiances, certainement moins riche musicalement que les œuvres de Cendo ou Matalon, mais qui accompagne efficacement les images de .

Au final, Chute(s) est une œuvre inégale, dont les images dérangent, interpellent comme autant de chocs, et dont la musique, de qualité, est servie par l'excellent ensemble de solistes musikFabrik. À voir.

Crédit photographique : Tunneling ©

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