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Béatrice et Bénédict shakespearien à l’Opéra-Comique

Il fallait tout l'art de pour parvenir à monter un spectacle cohérent à partir d'une œuvre aussi bancale que Béatrice et Bénédict.

L'ouvrage n'est pas la simple transposition lyrique de Beaucoup de bruit pour rien mais une pochade développée à partir de l'intrigue secondaire de cette comédie, qui voit deux farouches opposants au mariage, Béatrice et Bénédict, tomber amoureux et décider de s'unir et l'exploitation de ce fil secondaire n'est en effet guère aboutie puisque l'on ne nous montre qu'à peine l'opposition piquante des deux jeunes gens et que leur retournement est totalement soudain, pour ne pas dire gratuit. Restent de belles pages musicales – et l'auditeur de se surprendre plus d'une fois à reconnaître Mozart et Grétry dans le dernier opéra du compositeur des Troyens. Restent de très beaux airs (ceux d'Héro, de Béatrice), le duo d'Héro et d'Ursule ou encore le trio féminin, magnifiques en concert mais réfractaires à la scène car trop peu issus des situations qui les précèdent immédiatement. Ce qu' souligne en ces termes : «La musique de Béatrice et Bénédict n'est finalement faite que de rêveries isolées, aux confins du drame […], sans continuité dramatique.» La carrière de Berlioz, qui «avait commencé avec Huit Scènes de Faust» s'achève avec ce que l'universitaire renomme plus justement des «Scènes de Béatrice et Bénédict».

Pour redonner chair à une intrigue maladroitement menée, tout en respectant scrupuleusement la partition, le metteur en scène et l'acteur ont adapté le livret en y réintégrant, en version originale, un peu plus de Shakespeare : les personnages, dont on entend désormais les affects, grâce à la voix de , gagnent en épaisseur et l'intrigue en logique. Naît ainsi le savoureux personnage d'Alberto qui se fait maître d'œuvre en tirant les ficelles – au propre comme au figuré – des marionnettes que sont les personnages de l'opéra-comique. Le parti séduit par sa cohérence : l'action se passe en Sicile, où les puppi racontaient le combat des Maures et des Chrétiens ; les personnages sont des types assez fades pour pouvoir n'être vus que comme de simples marionnettes et les maquillages en font de véritables poupées. Plus encore que tous les autres, Béatrice et Bénédict sont d'ailleurs les jouets d'une machination, celle fomentée par Don Pedro et Claudio afin d'amener les deux «matrimoniophobes» à s'unir, selon le souhait du gouverneur. Pour compléter la réussite de cette conception dramatique, les chanteurs se coulent de bonne grâce dans la gestuelle saccadée de la poupée et le somptueux décor de Dirk Bird fait appel aux plans de décors à l'ancienne entre lesquels prennent place d'immenses puppi guerriers et de petits théâtres de marionnettes. Le problème de la cassure entre des dialogues inaboutis et une musique sublime se trouve ainsi résolu : lorsqu'ils exécutent leurs airs, les chanteurs échappent au marionettiste et abandonnent leur gestuelle contrainte.

La réussite de ce spectacle est en revanche moins totale sur le plan musical. Ailish Tynan peine dans l'émission et la projection d'une voix au demeurant bien timbrée et , malgré un abattage à toute épreuve, est en prise avec la justesse dans son grand air du second acte. Le plateau masculin est plus homogène, à l'aise sur toute la tessiture, et Jérôme Varnier parfaits – quel dommage qu'ils aient si peu à chanter ! fait quant à lui un réjouissant numéro de compositeur infatué de sa personne, mais on ne retient vraiment de cette distribution qu', confidente au beau timbre mordoré. Le manque de répétitions est patent, que ce soit celui des intelligentes chorégraphies de Cécile Bon pour les solistes, de choristes aux dictions châtiées mais peu synchrones ou encore d'une Chambre philharmonique aux couleurs chaudes mais pas encore en place, du moins lors de la première.

Crédit photographique : Pierre Grosbois pour l'Opéra Comique. Ailish Tynan (Héro)Q; (Alberto), (Bénédict), (Béatrice)

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