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Première collaboration de Bertrand de Billy avec l’Orchestre de Paris

Pour sa première collaboration avec l', , jeune chef français dont la carrière s'épanouit surtout dans la sphère germanique, a voulu frapper un grand coup. Il n'est qu'à voir l'éclectisme autant que l'exigence du programme pour s'en convaincre : deux siècles de musique en une heure et demie, entre valeurs sûres et œuvres plus discrètes.

Moins connu que la fameuse Passacaille op. 1, Im Sommerwind concourt à tordre le cou à tout ceux qui prennent l'art de Webern comme une fumisterie. Sans doute cette «idylle pour grand orchestre» nous montre une technique encore un peu verte, ce qui se ressent notamment dans le lien un peu lâche qu'entretiennent les épisodes musicaux entre eux, si bien que les musiciens eux-mêmes semblent surpris des contrastes. Chacun de ces épisodes recèle cependant de trouvailles d'instrumentation proprement captivantes, ciselées par la direction pointilliste de . Écouter Im Sommerwind c'est regarder un génie en puissance, dont le talent n'est pas encore arrivé à maturité et qui puise encore dans les grands aînés, Strauss en tête. Pour se révéler, rien à faire, il faudra en passer par Arnold.

Changement d'atmosphère autant que d'ère géographique avec le Poème de l'amour et de la mer de Chausson. Cette œuvre de grand style trouve ces temps-ci des interprètes à la hauteur de la tâche, comme Dame Felicity Lott ou , qu'il nous était justement donné d'entendre ce soir. Elle arrive, et le silence se fait ; on entendrait voler les mouches si quelques quintes de toux ne perturbaient toutefois l'attente religieuse de tous, tant sa présence est électrique. Dès les premières notes, on est conquis par la diction parfaite, la précision, l'émotion pure enfin qui sort de cette bouche pour couler dans nos tympans, à l'image de cet «oubli», que nous chuchote. L'orchestre n'est pas en reste, et donne un Interlude passionné, cependant que les doublures fréquentes entre la voix et le violoncelle solo sont à ce point réussies qu'on entend une mixture plutôt qu'une superposition de timbres.

Mystère de l'instant ensuite, cette œuvre de la rareté, de la concentration, du meilleur Dutilleux, chatoyant et ensorcelant, ce petit bijou de la musique française contemporaine … a été le lieu d'un appel d'air général pour les cordes de l'orchestre. C'était bien parti, avec des Appels mystérieux, mais au bout de quelques minutes, le soufflet retombe, plus de magie, plus rien que des pizzicati désordonnés, et l'on voit les musiciens marquer péniblement les temps avec la tête ou le pied, jusqu'à un Embrasement au souffle court, bien que le chef donne de sa personne pour redonner un peu de cohérence et de vie à la chose. Dans ce cas, on se dit «bon, le cymbalum va relever tout cela» ; peine perdue, c'est comme s'il avait peur de déranger la pagaille ambiante. Reste la prestation du timbalier, , reclus loin là-bas en fond de scène, et dont les acrobaties assurent le spectacle. En conclurons-nous que l' n'est pas à l'aise dans la musique de notre temps (quoique l'œuvre en question commence à dater) ? Mystère de l'instant figure pourtant déjà au répertoire de l'orchestre …

Vienne le temps des adieux, c'est Schumann qui s'y colle, bicentenaire oblige, avec la Symphonie n°4, œuvre de longue haleine, peut être un peu trop massive et imposante pour le style intimiste du maître, mais incontestablement forte. Le retour des vents exerce sur l'ensemble un effet proche de la piqure d'adrénaline, la confiance revient, et l'on a droit à une interprétation de grand style, même s'il faut bien avouer que les arabesques du premier violon dans la Romance sont à ce point neutres qu'on ne veut plus les entendre dans le Scherzo suivant. Une ultime réserve, cependant, quant à la vision de l'œuvre : le livret, qui puise abondamment dans le volume de Brigitte François-Sappey nous décrit cette symphonie comme exemplaire du point de vue de la «forme intégrée», cette conception des divers mouvements traditionels comme autant de parties d'un vaste plan sonate, et nous ne sommes pas sûrs que faire toutes les reprises en soit la meilleure démonstration – on entend plutôt une œuvre cyclique. Notons que les deux grands exemples couramment cités de ce principe, la Sonate de Liszt et la Kammersinfonie de Schœnberg, n'en comprennent pas.

En conclusion, on dira à regret «tant pis pour Dutilleux», et il nous restera tout de même le souvenir d'une grande séance de musique.

Crédit photographique : © DR

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