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Le gai madrigal

Il Canto d'Arione

Le jeune ensemble toulousain Il Canto d'Arione a choisi de se consacrer à l'art difficile du madrigal italien des XVIe et XVIIe siècle, sur une période allant de Monteverdi à Stradella, qui englobe de nombreux compositeurs méconnus, tout aussi représentatifs de ce style. Leur choix paraît exigeant en nos temps de paresse intellectuelle et de facilité, mais leur enthousiasme nous fait penser à l'époque où une certaine entraînait ses élèves avec gourmandise sur les terres encore vierges de la musique ancienne et baroque. Et lorsque l'on sait que certains de ses élèves s'appelaient , , Dalton Baldwin, , , , Eliott Carter, , , , Quincy Jones, Henry-Louis de La Grange, Joël Cohen, John Eliott Gardiner, , Emile Naoumoff, Miguel-Anguel Estrella… cela laisse rêveur.

D'ailleurs, le nom même de l'ensemble vient des Intermeddi della Pellegrina où les arts scéniques de l'Italie renaissante se rencontraient en référence au mythe d'Arion dont le chant charmait les animaux et les pierres.

Au-delà des chansons parfois lestes de la Renaissance, qui divertissaient les clercs lettrés, le texte prend de l'importance et dans un mouvement de pensée qui rend l'art plus réaliste, le madrigal devient le moteur d'une évolution formelle jusqu'au milieu du XVIIe siècle. S'il n'est pas seul, tient une place centrale dans ce mouvement, qui prend ses sources chez Marenzio, Gesualdo, Gagliano ou d'India. Après le maître de Mantoue, le madrigal déclinera au profit des nouvelles formes baroques comme la cantate, qui deviendra la forme vocale préférée jusqu'à la fin du XVIIIe siècle. Mais pendant tout le XVIIe siècle, le madrigal s'imposera comme un exercice de composition obligé et il demeure aujourd'hui l'une des meilleures écoles d'interprétation pour le chant collectif et soliste.

Nourris à cette manne, les cinq chanteurs d'Il Canto d'Arione dépassent son formalisme esthétique pour présenter son inspiration mythologique de façon décalée et humoristique. S'ils ont placé ce récital sous le signe d'Ariane, ils se souviennent d'un certain pour la présentation du contexte, conscients que le public actuel est pour le moins éloigné de la mythologie gréco-romaine. Il s'agit donc de le divertir en lui racontant par le chant et la poésie des histoires qui le font rire.

Les chanteurs toulousains y parviennent sans peine en mettant leur propos en espace autour de la complexité des rapports amoureux. Cela permet un regard distancié et parfois décalé sur les douces larmes, les plaintes et les soupirs du XVIe siècle, tout comme les élans précieux du siècle suivant en traçant une carte du Tendre plutôt joyeuse.

Les chanteurs s'amusent autant que le public dans la petite bacchanale libertine Ecconomi pronta ai baci où Monteverdi se fait sensuel en sortant de la chapelle, tout comme pour l'allégorie parodique Giro il nemico insidioso Amore, qui résume parfaitement la guerre amoureuse du 8e livre.

Après une première partie riante, la seconde se fait plus grave dans un bel équilibre vocal. Le ton est donné avec ces vers de Shakespeare : « Tout homme est infâme et fait de cette infamie son pouvoir ». Si le cœur a ses raisons, le sentiment amoureux domine largement la création poétique et de nombreux compositeurs de l'époque se sont inspirés de cette thématique inépuisable. C'est ainsi que des pièces de Marenzio, Pasquini, Stradella et Gesualdo répondent au prince Monteverdi.

Mis à part le ténor Deryck Huw Webb, un ancien des Arts Florissants également acteur, qui est le doyen de la bande, les voix sont fraîches et parfois un peu verte pour l'alto d'Oscar Bonany i Capdeferro, dont le registre élargi se cherche encore. On goûte particulièrement les voix féminines d'Anne-Laure Touya et Corinne Fructus qui délivrent entre autres un Zefiro torna, e di soavi accenti du 7e livre de Monteverdi d'une belle expressivité sentimentale. Quelques pièces de Frescobaldi, finement interprétées au clavecin par Saori Sato s'intègrent comme une respiration dans ce parcours madrigalesque.

Ce cheminement amoureux conduit naturellement à la pièce maîtresse du concert, le fameux Lamento d'Ariana, unique rescapé d'un opéra perdu du maître de Mantoue. Alors qu'on a l'habitude de l'entendre par une voix de soprano solo, Il Canto d'Arione a fait le choix judicieux de le traiter comme un madrigal a cinque, histoire de donner vie au récit de la pauvre Ariane abandonnée sur son rocher à Naxos. Ce parti pris nous remet en mémoire les productions zurichoises d'un certain avec , il y a déjà quelques décennies. Nous ne comparerons pas ce jeune ensemble au Concentus Musicus, mais il nous semble très prometteur.

Crédit photographique : Alain Huc de Vaubert

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