- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Christiane Karg : talent à suivre

Dans le cadre de son cycle «Le Jardin d'Eden», la Cité de la Musique a eu la bonne idée de programmer la «serenata» pastorale de Haendel Aci Galatea e Polifemo qui dépeint l'amour du couple originel menacé par le terrible Polyphème.

Le jeune Haendel a semble t'il composé cette œuvre lors de son séjour napolitain à l'occasion d'un mariage princier, l'œuvre se terminant dans la liesse de la fidélité éternelle. A partir de ce conte naïf (vraisemblablement écrit à l'origine pour exorciser la peur du volcan Etna personnifié par un dangereux cyclope), Haendel compose une partition haute en couleurs, théâtrale et riche par la diversité de son instrumentation. L'œuvre est rarement donnée de nos jours, certainement due à une difficulté majeure : Aci, soprano, est un homme, tandis que Galatea, alto, est une femme ! Difficile dans ce cas de rendre ce drame crédible. C'est pourtant ce qu'a réussit à faire à la tête des Arts Florissants (William Christie étant occupé au Metropolitan Opera pour Cosi fan tutte) en nous offrant une lecture fraîche et enthousiasmante, accompagnée d'une équipe de solistes de haute volée.

Délicieuse Galatea de (entendue à Beaune cet été dans Alessandro) ; délicat et empreint de douleur son personnage s'insurge avec véhémence face aux assauts du cyclope. Il aura pourtant fallut que le la voix se chauffe avant que l'on puisse pleinement jouir de son timbre de velours et il est vrai que face à ses 2 collègues la projection de sa voix lui a fait défaut (à sa décharge, il faut dire que ses airs sont dans l'ensemble moins brillants que ceux des deux autres solistes et qu'elle joue principalement le rôle d'une jeune fille fragile). Heureusement la chanteuse a su compenser en réalisant des da capo inventifs et des cadences audacieuses. Son dialogue avec les flûtes dans l'air «S'agita in mezzo all'onde» est remarquable. Virtuose, elle a pourtant éprouvé quelque peine à terminer l'air «Benché tuoni» pris, il est vrai, à une vitesse vertigineuse.

Celui qui est à l'origine de tous ses tourments, c'est le redoutable cyclope Polifemo, rendu monstrueux par une écriture impossible : le rôle requiert au moins 3 octaves et de périlleux sauts de notes extrêmes ! C'est avec maestria que le baryton basse , habitué du rôle, s'est joué de tous les pièges de la partition, se permettant même un jeu de scène impayable (déclamant le texte, riant à tout rompre, frappant du pied… sans parler de ses irrésistibles mimiques). Son air du papillon, véritable tour de force technique, procure paradoxalement une ineffable poésie, ce qui a suscité de longs applaudissements mérités.

Mais la grande surprise est venue de la soprano allemande qui a conquis le public parisien de sa voix ronde, claire et sonore couplée à une technique sans faille au service de l'émotion. Elle a immédiatement éclipsé la très regrettée puis Jaël Azzaretti initialement annoncées dans le rôle. Subtile interprétation aigre douce de l'air avec hautbois obligé «Qui l'augel» où la voix imite le vol et le chant de l'oiseau et dans lequel la chanteuse n'a pas hésité à accroître considérablement les difficultés techniques jusqu'à une étourdissante virtuosité maîtrisée avec aplomb ! Chacune de ses interventions n'a été que pur ravissement donnant une sacrée allure à son Aci ! Talent à suivre !

Alors à partir de cette distribution quasi parfaite couplée à un chef inspiré, à des interventions d'instruments solistes de qualité, et à des airs et des récitatifs vivants et expressifs, une rare alchimie a pu se créer, élevant cette naïve «serenata» au rang de tragi-comédie, sans céder pour autant cette fraîcheur toute juvénile qu'avait certainement souhaitée le fougueux Haendel lors de son séjour italien. Le public comblé pourra même réentendre l'œuvre sur France Musique le samedi 4 décembre à 19h30. A ne manquer sous aucun prétexte !

Crédit photographique : © Steven Haberland

(Visited 481 times, 1 visits today)