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Les Mamelles de Tirésias à Lyon, plus sympathique que surréaliste

Après les superbes Dialogues des carmélites à Nice, ce sont les plus rares Mamelles de Tirésias qui occupent le haut de l'affiche à l'Opéra national de Lyon.

Comme l'œuvre est brève, on lui a adjoint en guise de prologue un Foxtrot de Chostakovitch et le célèbre Bœuf sur le toit de . Musicalement l'enchainement fonctionne sans heurt et scéniquement, à son meilleur d'inspiration, rivalise de trouvailles visuelles. Oubliées la pénible Veuve Joyeuse d'il y a deux ans et la décevante Calisto parisienne. Si certains gimmiks éculés agacent de prime abord (le petit chien, le Monsieur Loyal qui aboie son texte), on retrouve ensuite avec bonheur l'univers décalé, tendre et poétique des Deschiens dans un cirque qui semble contenir tout ce que l'Humanité recèle de singulier ou d'original. Comme un refuge pour ceux que la société -ou la norme- rejettent. Dans Le Bœuf sur le toit, «quelque part in Zanzibar» défilent entre le boxeur noir, les jumeaux jongleurs, le contorsionniste et les dresseurs quelques freaks, silhouettes émouvantes dans un univers visuel mi-fellinien, mi-dadaïste mâtiné d'une louche de Tati. Pur moment de bonheur que cabrioles de ce cheval facétieux bientôt rejoint par un authentique taureau étonnamment placide… Belle idée d'évoquer en images presque subliminales la tragédie de la première guerre mondiale, à l'origine du plus grand bouleversement artistique du siècle passé. Tout juste reprochera-t-on aux Deschiens version Makeïeff d'être un peu trop sucrés, sans la note grinçante, absurde ou mélancolique des grandes réussites en tandem avec Deschamps.

Moins réussie, Les Mamelles à proprement parler qui pour être riches en gags n'en demeure pas moins éloignée de ce que le délire surréaliste d'Apollinaire appelait. Gentillette, la mise en scène de Makeïef n'exploite guère le potentiel polémico-comique de cette parabole féministe qui devrait faire trépigner -d'aise et d'agacement- le spectateur. C'est tout de même fort drôle avec l'apparition en scène d'une ultra-performante machine à produire du lait pour les milliers d'enfants conçus par le mari.

Il est rare de voir des interprètes autant s'éclater sur scène… sans se départir d'aucune exigence prosodique ou musicale. On a quitté lumineuse Constance dans les Dialogues niçois de Carsen/Plasson, la voilà Thérèse étourdissante, féministe certes mais aussi féminine jusqu'au bout des ongles. Le timbre est exquis, d'une radieuse juvénilité et l'on goûte -avec délectation- cette diction parfaite qui fait honneur à l'écriture Poulencienne. Tout juste nous offusquerons nous de deux ou trois aigus stridents, péché véniel face à un tel abattage scénique. Décevant Comte Danilo dans La Veuve Joyeuse, se rachète une conduite dans le rôle du Mari mais chez les hommes c'est l'épatant Werner Van Mechelen, d'une rare éloquence dans le rôle du directeur et du gendarme qui remporte la mise. Solides rôles secondaires (, Loïc Felix) et miracle, une authentiquement sobre dans les courtes interventions de La Marchande de Journaux.

La cote de est sérieusement montée ces derniers mois, ou il a été l'invité de l'Opéra et de l'ONL. Sans témoigner d'une personnalité artistique bien affirmée, sa direction s'est révélée probante dans Poulenc où la partition -grâce aussi à un orchestre remarquable- a révélée toute sa verve et sa finesse. Discutable par contre, un Bœuf sur le toit «désossé» qui n'a pas atteint les sommets de saveur habituels -mais sans doute était-ce pour les besoins d'un spectacle qui faisait à cet instant précis s'enchaîner les numéros ! Au final une sympathique soirée, haute en couleur, assurément divertissante, mais que l'on espérait plus explosive, «réellement» surréaliste.

Crédit photographique : (le Mari) ; (Thérèse) © Jean-Louis Fernandez

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