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Un Caldara bien sage par Philippe Jaroussky

Suffit-il d'enfiler une douzaine d'airs d'opera seria, aussi bien écrits soient-ils, pour convaincre de l'efficacité dramatique d'un compositeur ? La chose reste à démontrer, et le présent enregistrement n'en apporte pas une preuve véritablement convaincante. Autant le précédent disque de , consacré à des airs de Jean-Chrétien Bach, avait séduit par la richesse et par la variété des pages sélectionnées – les airs d'opéra y alternaient avec des pièces de concert d'une toute autre facture… –, autant ce programme consacré à peine à soutenir, sur les quinze plages qui le composent, l'attention de l'auditeur. Ce dernier finit assez vite, en effet, par se lasser de cette alternance, quasi systématique désormais pour ce type de récital d'airs baroques, de pièces lentes et de morceaux rapides qu'aucun élément dramatique ne vient véritablement contextualiser et mettre en perspective.

L'inévitable ennui qui se dégage des airs à vocalisation rapide est dû en partie au fait que le contreténor français n'est pas armé vocalement pour rendre justice à des pages qui appellent, si elles veulent avoir une réelle existence musicale, soit les exceptionnels moyens vocaux d'une Horne, d'une Podles ou d'une Kasarova, soit l'imagination interprétative d'une Bartoli ou, dans le registre de soprano, d'une . Ici, les deux conditions font cruellement défaut, même si l'on peut évidemment rester admiratif devant l'agilité et la prouesse techniques d'un chanteur à la voix ô combien suave, mais décidément plus à l'aise dans une esthétique de type chambriste que dans l'agitation des passions de la scène. Il n'est pas une découverte que l'exhibition gratuite de la technique et de la virtuosité finit par être lassante, et surtout par ne susciter aucune émotion…

Dans les pages plus lentes, qui se prêtent à l'exhalation du sentiment amoureux, pathétique ou élégiaque, Jaroussky est évidemment à son meilleur, et sa musicalité sans faille, ainsi que son impressionnante maîtrise du souffle, remportent immédiatement l'adhésion. Parmi les petites merveilles de cet album, on pourra citer la merveilleuse berceuse « Mentre dormi amor fomenti », tirée de L'Olimpiade sur un livret de Métastase, ou encore le superbe air avec violon obligé « Tutto fa nocchiero esperto », extrait de l'Ifigenia in Aulide de Zeno. On pourra mentionner aussi, parmi les moments de pur ravissement, la reprise de l'aria « Misero pargoletto » du Demofoonte de Métastase. Au rang des curiosités, on notera cette (trop) courte scène avec chœur extraite d'Achille in Sciro sur laquelle se clôt ce CD, passage qui laisse entrevoir, pendant un peu moins de deux minutes, les réelles potentialités dramatiques de la musique de Caldara.

La direction d' à la tête du – un des meilleurs ensembles de musique baroque d'aujourd'hui –, est dans l'ensemble satisfaisante, mais sa battue assez peu imaginative dans les airs rapides est sans doute responsable elle aussi de la relative monotonie qui se dégage, tout au long du CD, de certaines de ces pages.

Pour être vraiment audacieux, il faudrait maintenant réunir une grande distribution, comme cela se fait désormais pour les opéras de Haendel et de Vivaldi, et apporter la preuve définitive que les ouvrages de Caldara méritent réellement d'être exhumés. À écouter cet enregistrement, dans l'ensemble sage et convenu, on n'en est pas encore vraiment convaincu.

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