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I Puritani : Qui après Joan Sutherland ?

S'il a peiné pour trouver le sujet de son opéra, quand compose I Puritani, il sait qu'il peut compter sur Giulia Grisi, La Grisi, pour interpréter Elvira et imagine qu'un peu plus tard, la non moins célèbre Malibran reprendra le rôle.

Il sait aussi qu'il écrit la musique de Sir George Walton pour le célèbre Luigi Lablache et celle d'Arturo Talbot pour l'extraordinaire Rubini. Depuis ces temps glorieux, les interprètes les plus marquants de ces rôles n'ont pas été pléthore. Bien sûr, la postérité (et le disque) se souviendra de l'Elvira de Maria Callas, de celle de ou, dans une moindre mesure de Mirella Freni et autre Edita Gruberova. Tout comme des Arturo Talbot lumineux de Luciano Pavarotti ou d'Alfredo Kraus.

Qui aujourd'hui pour chanter Elvira ? Le Grand Théâtre de Genève s'est pourtant assuré du concours de l'une des meilleures sopranos du moment pour chanter l'héroïne bellinienne : . Brûlant les planches des plus grandes scènes lyriques du monde avec ses interprétations mozartiennes et straussiennes, la soprano allemande était donc très attendue dans ce répertoire. Allait-elle relever le défi de ses illustres prédécesseurs ? Force est de se rendre à l'évidence que si assure de parfaite manière toutes les difficultés de la partition, jamais elle n'atteint le degré d'émotion et de folie qu'on attend de cette héroïne belcantiste. La voix est belle, les aigus limpides. Tout est parfaitement contrôlé. Rien à dire. Et justement, ce «rien à dire» est ce qui gêne le plus celui qui attend que la folie d'Elvira soit une vraie folie, que sa passion amoureuse soit une passion vraie, que ses retrouvailles avec son amant soient des retrouvailles explosives, bouleversantes. Les grandes interprètes du rôle engageaient leurs voix jusqu'à la rupture. A la seule fin de transcender le personnage dans ce qu'il a d'excessif et de pathétique. Or, sur la scène du Grand Théâtre de Genève, se contente de bien chanter. Ce que d'aucuns pourraient se contenter mais, bien chanter ne suffit pas. Bellini a d'autres exigences. Avec Diana Damrau, on se sent frustré car, même si elle possède les moyens vocaux du rôle, elle n'est pas investie de cette fibre théâtrale, de cette rage, de cette audace, de cette envie de se surpasser, de cet art du chant belcantiste qui soulève les foules et qui bouleverse les âmes.

A ses côtés pourtant, la prestation de la basse (Sir Georges Walton) aurait pu l'inspirer. Seul à réellement s'inscrire dans la tradition belcantiste, son interprétation fait date. Loin du personnage souvent bon enfant que la tradition du rôle met en valeur, sculpte un personnage qui de paternel devient inquisiteur lorsqu'il décide de se rallier à Sir Riccardo Forth et de sacrifier Elvira à l'autel de la raison d'Etat. A chacune des interventions de la basse italienne, on frissonne à son ampleur vocale. Quelle profondeur de son, quel phrasé, quel engagement. Si sa romance du premier acte «« Piangi, o figlia, sul mio seno »» confirme notre propos, son duo du second acte «Suoni la tromba» avec Riccardo Forth reste l'un des instants les plus enlevés de la soirée.

Rôle terrible s'il en est, celui d'Arturo Talbot est un écueil et un impossible pari pour tout ténor. Les contre-uts y sont monnaie courante, et Bellini sème la partition du héros de quelques contre-rés avant de lui demander un mortel contre-fa dans le dernier acte. Dans cet exercice, s'en sort avec les honneurs. Abordant crânement le défi, il lance ses notes sans fléchir. Dommage qu'un positionnement de sa voix l'amène souvent à une projection vocale nasale. Mais n'est pas Pavarotti qui veut !

Autre chanteur méritoire, le baryton (Sir Riccardo Forth) nous fait passer quelques beaux moments de chant même si son style plus verdien que belcantiste n'est pas toujours dans l'esprit de cette musique.

De son côté, le Chœur du Grand Théâtre de Genève se profile à nouveau comme un acteur musical et scénique de choix. Sa prestation se révèle une fois encore irréprochable. Modulant ses volumes sonores, il est capable des chanter des forte tonitruants aussi bien que des pianissimi presque impalpables. Dans la fosse, l' en forme retrouve la baguette bien inspirée d'un  très musicien.

Et la mise en scène ? Le décor gigantesque (on dit qu'il pèse plus de 20 tonnes !) déroule son impressionnante succession de chambres sans fenêtres. Les parois métalliques grises sont recouvertes de signes de l'alphabet Braille. Dans son propos de mise en scène, affirme qu'il veut montrer ainsi un monde aveugle et aveuglé par le pouvoir, la religion, les dogmes et la guerre. Malheureusement, de cette intention, il ne fait rien et cet immense décor n'apporte rien à l'intrigue. Tout juste s'il sert aux magnifiques éclairages accentuant les ambiances sombres de l'intrigue.

Qui connaît I Puritani aura sans doute été surpris de constater que, dans une coupable liberté avec l'oeuvre, le metteur en scène en a transformé l'épilogue. Au lieu de l'amnistie générale des prisonniers et partisans des Stuarts voulue par le livret, Negrin décide que le héros sera sauvagement tué dans une sanglante scène finale. Etrange «arrangement» pris avec l'œuvre. Mais aujourd'hui, ce genre de dénaturation est loin d'être taxé de scandaleux. Alors, pourquoi se gêner ?

Crédit photographique : Diana Damrau (Elvira) & (Lord Arturo Talbot) © GTG/Vincent Lepresle

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