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La Métamorphose, quatrième opéra de Michaël Levinas

Avec La Métamorphose donnée en création mondiale à l'Opéra de Lille, signe là son quatrième ouvrage lyrique dont il co-écrit le livret comme il l'avait fait pour Les Nègres. Comme chez Jean Genet, il n'y a pas, dans la nouvelle de Kafka, d'action à proprement parler mais une lente agonie, ce calvaire vécu par Gregor métamorphosé en l'espace d'une nuit en cancrelat et qui, du jour au lendemain, est rejeté voire exclu de sa famille.

Dans la fosse, un dispositif orchestral relativement léger : une quinzaine de musiciens, ceux de l' dirigé par son chef , assistés et relayés par la technique et ses déploiements électroniques (contrôlés par des claviers midi) qui s'avèrent ici omniprésents, voire envahissants, au détriment peut-être d'une écriture instrumentale bien souvent neutralisée. Au cours des 70'(auxquelles il faut ajouter le Prologue) d'une trame dramatique très resserrée – cinq scènes ou madrigaux rythmés par des ritournelles – rares sont les moments musicaux où sonne véritablement l'orchestre hormis quelques fulgurances solistes, ici du cymbalum, là des claviers ou de la harpe.

L'idée d'un prologue – écrit sur le texte original de Valère Novarina, Je, Tu, Il – avant de nous plonger dans ce huit-clos suffocant (on pense à la Lulu de Berg) est en soi une trouvaille : de la gouaille et du rose bonbon chez ces trois filles-fleurs tout droit sorties du divertissement baroque – frétillantes Anne Mason, et – n'était cette fréquence perverse – la voix d'André Heybœr mettant en résonance sympathique une caisse claire – qui parasite de façon troublante autant que prémonitoire cette pétillante mascarade.

Du côté scénique, c'est au même Stanislas Nordey que revient la tâche délicate de «représenter l'irreprésentable» (Kafka, on le sait, ne voulait pas que l'on montre Gregor), un défi que le metteur en scène relève avec brio et – osons le mot au sein d'une telle monstruosité – une certaine élégance. L'homme-insecte – silhouette ondoyante de amarré sur un poteau – qui se fond à une araignée géante (et non un cancrelat) et semble tisser sa toile jusque sur les murs, est placé au centre de la scène, dans une position haute et immuable jusqu'à ce que l'on face «crever la bête» au sol. Mais à la faveur d'un habile jeu de voile et de lumière, cette vision ne nous sera révélée que progressivement, alors que le fond de scène se métamorphosera lui aussi au fil de la dramaturgie.

La voix litanique (le sanglot long dont part Levinas) de Gregor – celle de balayant tous les registres, de la basse profonde au falsetto – est constamment démultipliée (traitée comme un jeu d'orgue) par les artifices de l'électronique (Levinas en résidence à l' y a travaillé durant de longues semaines) ; un parti pris qui assume, certes, la part animale et monstrueuse du personnage mais n'évite pas une certaine lassitude ; au point, là aussi, d'absorber une bonne partie de l'espace scénique sans contrepartie véritable des autres personnages, fort bien campés au demeurant. Si les interventions du Fondé de pouvoir – truculent Simon Bailey – et des trois locataires viennent pimenter la narration, la colère du père – vaillant André Heybœr – lançant des projectiles sur son fils et l'épisode crucial où la sœur – agréable – joue du violon tombent un peu à plat, submergés par des manifestations bruyantes et sophistiquées alors que les dernières minutes vécues dans un presque silence atteignent le plus fort de l'émotion. La question, cruciale, de l'équilibre se pose, qui adviendra peut-être au fil des représentations pour que le «miracle», celui des Nègres, se reproduise une deuxième fois.

Crédit photographique : (Gregor) © Frédéric Iovino

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