Cette escale milanaise de cette production du Rosenkavalier illustrait l'adage : « c'est dans les veilles casseroles que l'on fait la meilleure soupe ! ».
Créée en 1995 au festival de Salzbourg, cette mise en scène du regretté Hebert Wernicke aura voyagé de Paris à Madrid en passant par Baden-Baden, avant d'arriver sur la scène de La Scala où elle fait sa première apparition. Rare présentation locale d'une œuvre peu présente au répertoire de la célèbre institution.
Il n'empêche 16 ans après sa création, cette scénographie est toujours exceptionnelle et exemplaire. Wernicke connaissait les moindres recoins de l'œuvre et il fait ressortir tous les détails du texte dans un travail scénique passionnant et juste. Il fait évoluer l'action sur le fil du second degré avec ce qu'il faut de comique mais sans en rajouter. La grande réussite de ce travail scénique est d'expurger l'œuvre de toute sa pompe poussiéreuse du siècle des Lumières, mais sans perdre de vue le côté crépuscule d'une époque impériale. Les personnages sont parfaitement caractérisés, avec en porte drapeau de ce monde en fin de règne, un baron Ochs méchamment autrichien de carte postale : beauf conservateur, réactionnaire, naïf et bien stupide. La riche bourgeoise autrichienne qui assista à la création de cette production a du rire bien jaune ! Le tout avance avec une rare logique dramaturgique qui donne des leçons à bon nombre de metteurs en scène actuels !
Pour ses débuts lyriques à la Scala, Philippe Jordan, se confronte à une partition qu'il connaît déjà bien ! Sa direction est un modèle du genre : légère, transparente, incisive et dynamique. L'Orchestre de La Scala n'a certes pas les rondeurs et le galbe des orchestres germaniques ou autrichiens, mais ses couleurs claires, sont un écrin idéal pour la direction dégraissée et nerveuse du jeune chef. Le musicien succède, dans la fosse milanaise, avec talent à des baguettes comme Karajan et Böhm.
Grande Maréchale des scènes actuelles, Anne Schwanewilms possède la présence physique du rôle mais peine à assurer vocalement tout au long de l'œuvre. Certes le timbre est séduisant et la connaissance du rôle parfaite, mais à la fin des actes n°1 et n°3, on sent la chanteuse assez juste et fatiguée. Joyce DiDonato est évidemment idéale en Octavian. Les capacités vocales de l'artiste américaine semblent sans limites et sa présence scénique est parfaite. Encore peu connue, la soprano Jane Archibald impose une superbe Sophie à la fois séduisante musicalement et scéniquement. Peter Rose est quant à lui, un Ochs de haute envergure à l'endurance à toute épreuve. Les rôles de comparse sont tenus avec luxe : Hans-Joachim Ketelsen en Faninal ou Peter Bronder en Valzacchi. Quant à Marcelo Alvarez, invité de luxe, il se tire sans embuche de son unique air de ténor viril en mal d'affirmation !