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Grand écart entre Britten et Chostakovitch

Le programme concocté pour cette soirée par le chef finlandais nous replaçait en plein cœur de la seconde guerre mondiale puisque les Illuminations de Britten virent le jour à Londres en janvier 1940 alors que la Symphonie n°8 de Chostakovitch retentit pour la première fois à Moscou en novembre 1943. Autant la première est toute en poésie et délicatesse autant la seconde est toute en puissance et drame, faisant de ce 180 degrés musical une des gageures à relever pour les interprètes du jour et le moins qu'on puisse dire est qu'ils ont joué à fond le jeu de ce grand écart.

Car la première partie du concert consacrée aux Illuminations où seules les cordes de l' accompagnent une soprano, fut baignée d'un climat fait de simplicité, de limpidité, de douceur, privilégiant la poésie de l'instant au détriment sans doute d'une animation plus différentiée pour chaque poème. Dans cette optique la voix de apparaissait comme parfaitement adéquate car magnifiquement chantante, en même temps que quelque peu frustrante car désastreusement « parlante », puisque, faut-il bien le reconnaitre, les poèmes d'Arthur Rimbaud était ce soir clairement incompréhensibles. Certes la prosodie française est toujours délicate, même pour des voix françaises, elle fut carrément sacrifiée ce soir. C'est pourquoi, malgré d'incontestables qualités, on aurait aimé un accompagnement d'orchestre un poil plus engagé pour apporter un surplus d'expression à cette œuvre.

Cet engagement, on le retrouva peut-être même un peu trop exacerbé, dans la symphonie de Chostakovitch qui suivit, dès le départ, mais plus encore lorsqu'il fallut « lâcher » les cuivres poussés ce soir jusqu'au hurlement, ou marteler puissamment les rythmes à grands coups d'archets ou de percussions. La réserve poétique d'avant l'entracte avait ainsi laissé la place à l'exacerbation des contrastes et de la dynamique, et du coup, ou contrecoup, les passages les moins spectaculaires en pâtirent peut-être car apparaissant parfois manquer de tension et de climat comparés aux éruptions adjacentes. Dans ce déferlement qui impressionna plus d'une fois grâce à une superbe cohésion de l'orchestre comme à la performance de certains solistes (magnifique cor anglais à la fin du I, flutes et piccolo incisifs dans le II, etc…), où le chef sut très bien mettre en évidence les changements de ton entre les mouvements, il nous a semblé quand même que quelque chose manquait pour convaincre totalement, et ce quelque chose est le fameux liant qui va unir chaque section d'un même mouvement dans un tout organiquement logique, inévitable, ce qui aurait fait plus nettement sentir l'inexorabilité que à cette symphonie porte en elle, comme beaucoup d'œuvres de Chostakovitch d'ailleurs. Cette subtile nuance, certainement plus facile à ressentir qu'à réaliser tant elle s'est toujours faite rare, fait la différence ultime entre une belle exécution d'un chef-d'œuvre et une géniale interprétation d'une œuvre de génie. Même si on est resté ce soir en deçà de ce niveau ultime, l'exécution ne manquait pas de qualité pour mériter les applaudissements fournis du public de la salle Pleyel.

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