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Reprise à Bastille de Don Giovanni dans la mise en scène d’Haneke

Nicolas Joel a la bonne idée de proposer au public de l'Opéra de Paris lors de la saison 2011/2012 une reprise d'une production marquante de l'ère Mortier, ce Don Giovanni mis en scène par le réalisateur et scénariste autrichien avec dans le rôle-titre.

Hué lors de sa création en 2006 à Garnier, le spectacle fut repris l'année suivante à Bastille, ce qui est à nouveau le cas ici. Si la salle convient bien à la transposition contemporaine d'Haneke, la distribution vocale, surtout les femmes, aurait gagné, en termes de projection, à se produire à l'Opéra Garnier. La relecture sombre, froide, violente du metteur en scène sous le prisme de la lutte des classes, dans l'univers d'une grande entreprise d'un quartier d'affaires (La City à Londres, La Défense, en région parisienne…) fait de Don Giovanni un golden boy abusant de ses subalternes. Les partis pris, libertés par rapport au livret de Lorenzo da Ponte peuvent convaincre ou décontenancer, mais ne laissent pas indifférent. La mise en scène, qui n'exclut pas l'humour, chez Leporello notamment, n'a, d'une manière générale, pas vieilli. Les options d'Haneke montrent cependant leurs limites. C'est le cas par exemple à la fin du deuxième acte, l'opéra perdant toute dimension métaphysique (retour du Commandeur, en chaise roulante, au moment où Donna Elvira poignarde Don Giovanni avant qu'il ne soit finalement défenestré). Au registre des réserves également, le spectateur « subit » toujours la pénombre pendant une bonne partie de l'œuvre, les silences observés dans les récitatifs qui allongent l'action, et également l'indigence du continuo. Mais la grande satisfaction de cette reprise vient de la fosse, et d'un plateau vocal de très bon niveau. Comme Anna Caterina Antonacci avec Carmen, incarne véritablement Don Giovanni, et ce, depuis la production de Peter Brook en 1998 au Festival d'Aix-en-Provence. Voix somptueuse, sens de la musicalité, présence scénique, il campe un personnage qui n'est pas, comme l'a voulu Haneke, seulement un libertin, grand séducteur, mais un pervers, cynique, dans l'excès permanent, un homme à l'insatiable appétit de conquêtes féminines et de pouvoir. À côté, son valet (ici assistant) et admirateur Leporello paraît un peu pâle, vocalement et scéniquement, en la personne de David Bizic. En Donna Elvira, fait enfin – mieux vaut tard que jamais – ses débuts à l'Opéra de Paris. Elle se révèle très touchante même si la voix n'est pas toujours très séduisante. C'est également le cas de en Donna Anna, une prise de rôle surdimensionnée, particulièrement à l'Opéra Bastille, pour la soprano par ailleurs excellente comédienne. est l'autre grande satisfaction de cette distribution. Lui qu'on avait apprécié dans le rôle-titre d'Atys à l'Opéra Comique est absolument remarquable vocalement en Don Ottavio : beauté du timbre, clarté de l'émission, style, tout y est. Du couple de paysans, ici des techniciens de surface, se distingue surtout la jeune , en Zerlina. Impeccable Commandeur en la personne de .

La direction musicale de cette reprise est confiée à (en alternance avec son assistant Marius Stieghorst), accompagnateur précis, attentif et subtil, à la tête d'un Orchestre de l'Opéra de Paris en grande forme. Une production qui tient globalement ses promesses.

Crédit photographique : © Charles Duprat / Opéra national de Paris

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