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Berne : Chiara Skerath, géniale Despina

Alors que le public prend place, devant le rideau encore fermé, une femme de ménage passe l'aspirateur sur le devant de la scène.

Son travail ne sera interrompu que lorsqu'un membre de la fosse d'orchestre lui demandera de cesser ce bruit incongru. Malgré son incompréhension devant cette intervention qui ne dit faire que ce qu'on lui a ordonné, elle quitte en maugréant le devant de la scène. Lorsque le rideau s'ouvre, sur l'image d'un plafond d'une hypothétique Chapelle Sixtine représentant l'histoire d'Adam et Eve, la jeune femme de ménage est assise sur son aspirateur tout étonnée d'être sous les feux des projecteurs devant une salle pleine de public. Elle est bientôt chassée de la scène par le Don Alfonso qui doit ouvrir le spectacle. La scène est jouée avec tant de naturel qu'on s'étonne de revoir cette même femme de ménage sur la scène, quelques minutes plus tard, dans le rôle de Despina.

Cette entrée en matière insolite puis le régal théâtral, cette soirée le doit d'une part, à l'excellence de la mise en scène de la mise en scène de Daniel Karasek et d'autre part, au jeu formidablement pétillant de la jeune (Despina). Bien sûr, le rôle de la servante dans Cosi fan Tutte est du pain béni pour toute chanteuse douée de sens du théâtre. Mais, avec la prestation scénique de , on sublime le rôle. Déjà remarquée dans Les Joyeuses Commères de Windsor d' en janvier de l'an dernier, elle récidive ici avec un enchantement de tous les instants. Quelle drôlerie ! Quel sens du comique de situation ! Quel entrain ! Le geste toujours juste, la voir « boire un coup » en aparté sur le côté de la scène force l'hilarité. L'entendre s'esclaffer de rire (son rire ?) avec une franchise sonore est communicatif à tout le public.

Mais n'est pas que théâtre. Elle chante admirablement. Dominant l'agilité mozartienne sans apparente difficulté, la voix claire, agile à souhait, la très jeune soprano suisse (elle n'a que 24 ans !) s'affirme comme une prodigieuse interprète. Dans la personnification des autres personnages de cette farce, elle se paie le luxe de transformer sa jolie voix en deux autres voix éraillées. L'une d'un burlesque renversant, pour la scène du médecin appelé au chevet de Guglielmo et de Ferrando, l'autre pour celle toute aussi cocasse du notaire scellant le mariage des couples « recomposés ». Et tout cela sans jamais trahir l'esprit ni la lettre de Mozart. Aujourd'hui, le mot « génial » est galvaudé, mis à toutes les sauces télévisuelles, mais dans la variété d'interprétation tant vocale que théâtrale de ce rôle, peut-être n'est-il pas totalement exagéré de dire qu'il y a du génie chez Chiara Skerath.

Toute cette verve théâtrale n'aurait certainement pas aussi excitante sans la direction d'acteurs du metteur en scène Daniel Karasek qui a magnifiquement su utiliser les capacités de chaque protagonistes. Tous sont parfaitement en phase avec l'intrigue. Même les immobilités du chœur (musicalement très bien préparé) sont superbement bien réglées. Et quelle intelligence de lecture de l'œuvre mozartienne et quel soin du détail ! Ainsi, lorsque le chœur apparaît pour appeler Guglielmo et Ferrando à l'appel de la guerre, leur présence aurait été incongrue si Don Alfonso ne se chargeait de les payer discrètement pour leur participation à la farce.

Mettre en scène six personnages sur un plateau circulaire, avec pour seuls meubles une petite quinzaine de chaises (elles sont quatorze !) de toutes espèces peut vite devenir ennuyeux si le réglage des scènes n'est pas parfaitement contrôlé. Grâce à ce climat favorable et à la présence catalysante de Chiara Skerath, tous se fondent dans l'intrigue avec entrain.

Excellent acteur, Andries Cloete (Ferrando) chante son Mozart avec sensibilité. Très apprécié son Un aura amorosa excuse largement une très légère et passagère baisse de forme vocale en fin du dernier acte. La voix bien campée, le baryton Eung Kwang Lee (Guglielmo) (en seconde distribution) confirme son aisance vocale dans un vibrant Tradito, schernito au second acte. De son côté, le baryton (Don Alfonso) déçoit. La voix usée, souvent détimbrée, il tend à chanter trop fort accentuant encore la fatigue de son instrument.

Du côté féminin, la distribution bernoise réserve une très agréable surprise avec la prestation de la soprano polonaise (Fiordiligi). La jeune soprano n'est pas une inconnue de nos lignes puisqu'elle a été entre autre une brillante Musetta de la Bohème à Strasbourg en octobre 2011 et comme une belle Pamina de Die Zauberflöte à Luxembourg en janvier 2011. Capable des plus éthérés pianissimo comme de forte les plus impressionnants, elle se sent à l'aise dans le chant mozartien. Avec son personnage entier, bien campé, elle convainc pleinement dans son rôle quand bien même sa jeune technique vocale l'empêche encore de maîtriser son legato dans les notes de passage. A ses côtés, si le chant parfois heurté de (Dorabella) nuit un peu à la compréhension de son texte, elle compose un intéressant personnage dont l'ambiguïté partagée entre un calvinisme pur et dur l'oppose à une attirance pour la bagatelle.

Une réussite totale qui, outre la mise en scène, le doit aussi à la direction attentive et sensible de la cheffe d'orchestre allemande Judith Kubitz. Dans la fosse, le manque encore de sensibilité entre les pupitres (Dieu ! que ces cuivres sont souvent trop bruyants et peu précis) mais ses efforts pour que Mozart sorte vainqueur de cette soirée ont été néanmoins couronnés de succès. Un succès confirmé par les applaudissements nourris d'un public visiblement heureux de leur soirée.

Crédit photographique : (Guglielmo), (Don Alfonso), Andries Cloete (Ferrando) ; (Guglielmo), (Don Alfonso), (Dorabella), (Fiordiligi), Andries Cloete (Ferrando), Chiara Skerath (Despina) © Philipp Zinniker

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