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A Berlin, Rattle peaufine sa Walkyrie

Cinq ans après sa Walkyrie aixoise (disponible chez BelAir) Sir remet son ouvrage sur le métier, avec une distribution en partie renouvelée et le même Philharmonique de Berlin. Il nous en propose cette fois une simple version de concert, avec les petits jeux de scènes habituels à ce genre d'exercice, et si on retrouve encore de forte similitudes avec sa version de 2007, quelques détails ont changé, et plutôt en bien côté direction d'orchestre.

Il est d'ailleurs intéressant de comparer à la fois Rattle 2007 avec Rattle 2012, mais aussi la présente prestation avec celle, toute aussi récente, de l'Opéra de Munich en visite au Théâtre des Champs-Élysées. Car à l'époque de l'aventure aixoise nous avions noté : « la direction de Rattle, plus accompagnement qu'autre chose, favorise à l'évidence la lisibilité mais évacue carrément le drame, échouant dès qu'il faut mettre tension, énergie, fièvre, passion, bref emporter l'auditeur dans le maelström wagnérien ». Si le chef n'a pas fondamentalement changé de perspective, qu'il n'est toujours pas le champion de la tension et du suspens, on a trouvé dans sa direction plus d'intensité, une plus grande ampleur dynamique et une sensation d'entendre un orchestre plus libéré, ou moins sous contrôle, qui rendit nettement plus impressionnants les passages paroxystiques où l'orchestre atteignit des sommets, sans perdre ses qualités de lisibilité et de clarté.

Néanmoins il fallut attendre quasiment la fin de l'Acte I pour réellement sentir ces effets, car, après un Orage introductif assez alerte qui ne nous saisit pas à la gorge, on eut l'impression de retrouver tout au long de ce premier acte un Rattle attentif à soutenir ses chanteurs sans donner à lui seul une dimension épique au drame conté par les protagonistes. Mais comme si un déclic venait de se produire lors de cette spectaculaire et très réussie fin d'acte, la direction resta plus vivante et, peut-être inspirée par l'arrivée des Dieux, enchaîna sur un début d'Acte II tout simplement phénoménal d'animation, d'urgence, de noblesse et de violence réunies, parfaite introduction pour les retournements de situations qui allaient suivre. On nota bien ici où là quelques baisses de tension, ou moments plus banaux (entre autre une Chevauchée un peu dans la lignée de l'Orage initial) mais on ressentit jusqu'aux Adieux de Wotan plus d'engagement et d'émotion que cinq ans plus tôt dans l'enregistrement aixois.

Par contre la vision fondamentalement humaine dans la caractérisation des personnages restait la même, le format vocal des interprètes des Dieux, et de Siegmund, ne permettant sans doute pas d'aller dans le sens de l'épique. De fait on nota une nette différence avec la version de l'Opéra de Munich mentionnée plus haut, dont les trois personnages féminins avaient un gabarit vocal un cran au-dessus (à l'évidente exception de la toujours merveilleuse Sieglinde d'), alors que le Siegmund rageur, mais peu chantant, de donnait un tout autre ton à son personnage que le mieux chantant mais tellement trop rond, doux et soyeux Siegmund campé ce soir par , dont on peine à imaginer qu'il puisse être le héros des aventures de Welse qu'il raconte au premier acte. Si on ne remet pas en cause la musicalité du ténor allemand, force est de reconnaître qu'on ne ressentit pas vraiment la présence de Siegmund. Contrairement à qui montra encore une fois, à l'instar des représentations récentes du MET, qu'elle est une Sieglinde idéale, fragile et forte à la fois, avec une richesse d'expression et de nuances mariée à une intelligence de texte sans défaut. Elle est ainsi exactement le personnage, sans être une Walkyrie qui s'ignore comme l'était quelques jours plus tôt au TCE. Et puisqu'on parle de Walkyrie, la frêle et néanmoins expérimentée Brünnhilde de nous laissa un sentiment partagé entre l'intensité de l'engagement et la tenue vocale par moment moins confortable où la volonté expressive l'emporta sur la pureté et la continuité du chant. De ce point de vue elle ne fait pas oublier la performance parisienne de et on rêve d'un duo Stemme Westbroek proche de l'idéal. S'il a une longue carrière derrière lui, Terje Stensvold est un Wotan relativement récent, de fort belle allure, réussissant à tenir la distance des trois actes sans significativement faiblir. La voix bien posée composait néanmoins un Wotan très humain, et comme Sigmund ce soir mais à une degré moindre, on ne sentit pas le Dieu tout puissant derrière l'époux ou le père. Le « Geh » qu'il lance (à peine !) à Hunding après la mort de Siegmund est très significatif tellement il est défaitiste, sans aucune dimension d'orgueil. On retrouvait en Fricka et Hunding les mêmes interprètes qu'à Aix, avec une peut-être un peu moins en forme qu'à Aix et un plus intéressant car moins figé et plus expressif.

Mais le grand triomphateur de cette soirée fut sans conteste l'orchestre lui-même qui atteint à certains moments des cimes inaccessibles au commun des orchestres, et du coup renvoyait le pourtant plus qu'honorable orchestre du Staatsoper de Munich à ses études. Si on ne devait retenir que quelques exemples on citerait un exceptionnel quatuor de trombones qui produisit la meilleure performance live qu'on ait jamais entendue. Les huit cors furent époustouflants, se partageant équitablement la tâche, les quatre cornistes officiants au tuba wagnériens aux deux premiers actes se virent offrir la position de leader au dernier acte (dépourvu de Wagner tuben), leurs collègues, dont Stefan Dohr, premier cor soliste de l'orchestre, glissant alors aux cors 5 à 8. Et comment ne pas citer un des joyaux de toujours de cet orchestre avec ce pupitre de violoncelles capable de tout, encore une fois au sommet ce soir. Incontestablement cette nouvelle Walkyrie signée Sir , avec ses Philharmoniker plus engagés et libérés, nous sembla un net cran au-dessus du point de vue symphonique par rapport à Aix. Vocalement elle nous offrit des performances de qualités, même si certains favorisèrent l'incarnation du personnage et d'autres la qualité du chant, à l'exception d' au sommet de son art, qui n'eut besoin de sacrifier aucun aspect de son personnage.

Crédit photographique : © Monika Rittershaus

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