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Avec Alexander Vedernikov, un concerto sous contrôle

Il y a apparemment un topos, lorsqu'on critique une interprétation du Deuxième concerto de Prokofiev : il faut s'extasier sur la cadence, cette cadence qui à elle seule représente la moitié de la durée du premier mouvement, et en remodèle tout le matériau thématique, pour donner un feu d'artifice de virtuosité et de lyrisme. C'est un lieu commun dont on s'exaspère tant qu'on n'a pas vu, de ses yeux vu, un être humain jouer ces pages ; et le public de la salle Pleyel, qui a eu cette chance, n'avait qu'un mot à la bouche en quittant le concert : « la cadence ! la cadence ! ». Une juste récompense pour l'investissement maximal du soliste, , pendant les trente minutes que dure ce concerto – la partie piano en occupe au moins vingt-neuf. Quand il aurait été si facile pour lui de donner le change en noyant certains traits sous la pédale, l'interprète a tenu à maîtriser chaque note. Avec rigueur, humilité, et avec une facilité que seule la fatigue physique a tempéré dans les dernières mesures, il est venu à bout de ce diabolique monument, de cette pierre d'achoppement même pour les pianistes talentueux.

Pourtant, il devait être difficile, pour qui découvrait la partition, d'être sensible à sa beauté, car sous les doigts du pianiste, elle respirait peu, malmenée par des tempi parfois osés. L'équilibre entre furie et expressivité est fragile, et favorise trop la première ; peut-être, obnubilé par un désir de perfection, est-il un peu dédaigneux des passages qui ne lui demandent pas les effroyables prouesses requises par d'autres. Cette impression est renforcée par une curieuse pudeur dont fait preuve l' qui, s'il s'acquitte volontiers d'un rôle d'accompagnement, est pris de court lorsque la part belle lui échoit. Comme s'ils étaient gênés de rivaliser avec un piano si luxuriant, les musiciens réduisent parfois leurs propres soli à une suite de borborygmes précipités, et l'unité dramatique de l'œuvre en pâtit.

L'orchestre est plus convaincant dans la symphonie de Scriabine, quand il sait que l'attention des auditeurs lui revient tout entière. Cette œuvre, qui n'égale ni en densité ni en inspiration le concerto de Prokofiev, constitue pourtant une belle seconde partie de concert. Les musiciens s'appliquent à obtenir ensemble des couleurs intéressantes, et ils rendent assez bien ces paroxysmes extatiques, ces moments d'intensité maximale où l'harmonie se modifie par plages, que l'on sait si caractéristiques du style de Scriabine. Le chef d'orchestre, , réussit donc honorablement son premier contact avec l' : rappelons qu'il a dû remplacer Kirill Petrenko à la dernière minute. Déplorons simplement une outrance, voire une vulgarité dans les gestes (tels les coups frappés du pied sur l'estrade), qui trahissent une vision légèrement caricaturale de cette musique.

Le bis très approprié qu'a choisi Berezovsky pour conclure sa prestation mérite aussi qu'on lui accorde quelques lignes : il s'agit d'un Conte de Nikolaï Medtner (une forme brève que ce compositeur affectionne), opus 20 n°2, une pièce que le pianiste, dans un français limpide, a tenu à mettre en rapport avec le style de Prokofiev, et dans laquelle on retrouve en effet une violence empreinte de motorisme. La beauté aride de cette pièce vaut le détour, et devrait lui valoir une notoriété plus grande.

Crédit photographique : © X. Antoinet

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