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Ernest Ansermet et Nikolaï Rimski-Korsakov

En trois CDs (un double et un simple), Decca « Eloquence » Australie nous restitue non pas toutes les gravures Rimski-Korsakov d', mais bien toutes les pages du maître russe que le chef suisse a gravées : en effet, Ansermet a enregistré jusqu'à quatre fois la même œuvre (Shéhérazade), et en l'occurrence Decca a choisi judicieusement la version estimée la plus aboutie.

Lors de la première chronique relative aux rééditions australiennes « Decca Ansermet Legacy », nous avons souligné l'excellence des gravures du chef suisse non seulement dans le répertoire français, mais également dans la musique russe, et cela n'est guère étonnant, puisque Ansermet fut l'un des collaborateurs privilégiés des fameux Ballets Russes de Diaghilev, où se côtoyaient harmonieusement chefs-d'œuvre russes et français. Très tôt, Ansermet a ainsi pu mettre en valeur les spécificités de ces deux cultures, mais également leur osmose mutuelle, grâce à un sens aigu du rythme qu'il maîtrise avec fermeté, ainsi qu'un instinct infaillible de la couleur orchestrale. Cela nous a valu de somptueuses gravures non seulement d'œuvres chorégraphiques de Debussy, Ravel, Dukas et Roussel (il fut le premier à mettre en vinyle, en octobre 1952, un Daphnis et Chloé intégral mémorable), mais également celles de Stravinsky et même de Tchaïkovski dont il fut l'un des pionniers à graver les trois ballets.

Ansermet fut également très à l'aise dans la musique du Groupe des Cinq, et notamment celle de Rimski-Korsakov dont il sut mettre particulièrement en valeur les chatoiements d'une joaillerie sonore incomparable.

Nous avons le bonheur de vivre une époque où des chefs comme Neeme Järvi (Chandos, DG) ou Kees Bakels (BIS) nous ont offert d'excellentes quasi-intégrales de l'œuvre orchestrale de Rimski-Korsakov ; toutefois, il est bon de rappeler que dans les années 50-60, seule du grand compositeur russe était pratiquement mise en galette la célèbre « trilogie » op. 34-35-36 : Capriccio Espagnol, Shéhérazade, La Grande Pâque Russe. Bien sûr, nous retrouvons ici ces trois « tubes », mais il importe de rendre hommage à Ansermet d'avoir véritablement sorti de l'ombre les autres œuvres présentes sur ce double CD dans des prises stéréophoniques de la toute première heure : la très évocatrice suite symphonique (ou Symphonie n°2) Antar op. 9, tout premier enregistrement classique stéréo de Decca (13 mai 1954 !) ; le sombre tableau musical Sadko op. 5 (1867, l'opéra éponyme viendra bien plus tard) qui nous emmène dans les mystérieux fonds marins ; la belle ouverture de l'opéra La Nuit de Mai (1879) toute imprégnée de joyeux chants et danses populaires à la manière de Glinka ; la suite du conte printanier La Fille des Neiges (1881), si poétique dans sa féerie (Ansermet inclut à juste titre le chœur féminin dans la Danse des Oiseaux) ; la non moins poétique suite de l'opéra Nuit de Noël (1895) vue par les yeux émerveillés de l'enfance ; la très colorée suite de l'opéra Conte du Tsar Saltan (1900) aux trois parties de laquelle Ansermet a joint judicieusement le célébrissime Vol du Bourdon ; et enfin, aboutissement, la suite de l'opéra Le Coq d'Or (1907) que nous retrouvons ici en complément de Shéhérazade dans une gravure d'octobre 1952, et qui n'aura comme seule concurrence sérieuse que celle, exceptionnelle, d'Igor Markevitch avec les Concerts Lamoureux, quelques années plus tard (DG).

devait tout particulièrement tenir à la Shéhérazade (1888) de Rimski-Korsakov, puisqu'il l'enregistra pas moins de quatre fois, la première il est vrai en extraits sur disque acoustique lors d'une tournée en 1916 à New York avec l'Orchestre des Ballets Russes de Diaghilev (réédités en CD Cascavelle VEL3119) ; vinrent ensuite les deux enregistrements avec l', respectivement en mai-juin 1948 (mono) et septembre 1954 (stéréo, celui-là même qui nous est offert sur ce CD) ; enfin Ansermet confia l'œuvre une dernière fois à l' pour sa gravure d'octobre-novembre 1960. Celle-ci ayant été souvent rééditée en CD, Decca Australie a judicieusement préféré choisir en première mondiale sur CD la troisième version de septembre 1954, et cela ô combien avec raison ! L' s'y montre au moins l'égal de celui de la Suisse Romande, avec l'avantage d'un Ansermet moins âgé, l'admirable Pierre Nerini en violon solo, mais surtout cette verdeur et ce vibrato des vents (cors et trompettes !) si typiques des phalanges françaises du moment, caractéristiques d'ailleurs adoptées par les orchestres russes de l'époque.

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