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A Beaune, éclatante Agrippine

Comme à son habitude, Beaune ouvre les festivités de ses quatre weekends baroques avec une œuvre de Haendel.

Cette année, il s'agit d'une truculente œuvre de jeunesse composée durant la période italienne du compositeur : Agrippina, dont le livret au sujet politico-amoureux, met principalement en scène les stratèges d'une Agrippina prête à l'impossible pour asseoir son fils Nerone sur le trône. C'est Eduardo Lopez Banzo et son ensemble qui devaient initialement prendre en charge ce concert, mais suite à des coupes budgétaires ils ont déclaré forfait et le festival de trouver dans l'urgence des remplaçants. et son relèvent le défi et contribuent à la réussite de la soirée même s'ils ont dû lutter contre l'acoustique assassine de la basilique, et ainsi involontairement offrir un son à la perception parfois brouillonne. A noter quelques moments fort inspirés tels que la petite touche jazzy du luth, ou l'intervention du chef à la flûte, ou encore le bref déchaînement orchestral dans la partie centrale de l'air « Voi che udite » d'Ottone… pourtant il faut déplorer la lenteur des enchaînements airs/récitatifs qui tend à faire retomber la tension dramatique ainsi que les coupes importantes des da capo et surtout de la géniale reprise voulue par le compositeur du lancinant « Pensieri » traduisant l'extrême tourment qui ronge Agrippina.

Heureusement l'ennui ne risque pas de s'installer avec la prodigieuse mezzo-soprano qui transcende véritablement le personnage d'Agrippina. Bien connue pour ses brillantes interprétations des rôles de castrats haendéliens (même si elle y laisse souvent une pointe de féminité), avec ce rôle de femme trompée mais assumé, de perfide manipulatrice et de mère louve enragée, elle touche au sublime ! Elle s'impose d'emblée de façon éclatante, pourtant (ingénieusement) cantonnée à de « simples » récitatifs pendant près d'une demie heure, elle retient l'attention par la clarté et la qualité expressive d'une diction exceptionnelle qui rendent les récitatifs (qui auraient pu paraître quelconques avec quelque autre interprète) plus passionnants encore que les airs chantés par ses collègues ! Et comment résister non seulement au crémeux de son mezzo si chaleureux mais aussi à son penchant naturel pour la comédie ? Comment résister à ses œillades complices, cette façon si particulière de sourciller ou de se pincer la joue avec malice, ou encore de chanter rageusement en serrant les dents…? Certains airs se transforment alors en force dévastatrice comme son « Pensieri » (pour ne citer que celui-ci) chanté comme si sa vie en dépendait.

Pour rivaliser avec cette personnalité hors du commun, il fallait trouver une redoutable Poppea en la personne de la soprano . Dans un tout autre registre et avec grande classe, celle-ci parvient à s'imposer en faisant valoir ses pianissimi de petite fille qui la rendent faussement innocente pour mieux contraster avec sa voix pleine revancharde, en variant les couleurs de son timbre, ou en nous étourdissant avec les vocalises d'un vaillant « Fa quando vuoi ».…, des armes suffisamment redoutables pour contrer l'écrasante Agrippina. Poppea va se servir de l'amour que lui porte le souverain Claudio pour se venger d'Agrippina. Ce dernier, est certes un personnage naïf mais va lui conférer une grande prestance. Alors, même s'il se trouve en difficulté avec les notes aiguës du redoutable air « Cade il mondo », la chaleur de sa voix ferme et sonore, la profondeur des ses notes graves ainsi que la charmeuse douceur de son timbre font merveille dans tous les autres airs.

Deux autres personnages vont être hautement manipulés : le fils d'Agrippina Nerone, amoureux de Poppea, trouve en Renata Pokupic, une interprète fougueuse et juvénile mais à la gestuelle peu convaincante ; et Ottone, l'amant de Poppea, honnêtement interprété par le contre-ténor . Deux interprètes efficaces mais peu marquants. Enfin trois rôles mineurs viennent compléter la distribution : Pallante, Narciso et Lesbo, respectivement chantés par Clemente Antonio Daliotti, Andrea Arrivabene et . Tout trois ont contribué à la réussite de cette représentation (mention spéciale pour le baryton Daliotti, à la voix bien timbrée et si facile dans les vocalises).

La soirée aurait pu ne laisser qu'un souvenir agréable, mais c'était sans compter sur l'implication hors norme de la mezzo-soprano , irrésistible et mémorable dans le rôle d'Agrippina ! Notez qu'elle reprendra bientôt le rôle avec le chef (après l'avoir brillamment chanté avec Biondi et Curtis).

Crédit photographique : © Artefact

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