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L’Ensemble Intercontemporain sous la conduite d’Alejo Pérez

Sous la direction du jeune chef argentin qui remplaçait à la Cité de la Musique, l' en grande forme mettait à son programme – une fois n'est pas coutume – quatre oeuvres de compositeurs français révélant esthétiques et univers sonores aussi divers que singuliers.

De d'abord, Modulations pour 33 musiciens, écrit pour les 70 ans d'Olivier Messiaen, est la quatrième pièce du cycle des Espaces acoustiques (1974-1985) au sein duquel le compositeur spectral expérimente la notion du « timbre en devenir », autrement dit la métamorphose constante d'un spectre d'harmoniques (celui d'un Mi fondamental) évoluant, selon le couple tension-détente, du déploiement sonore le plus coloré à la déformation/distorsion du matériau le plus bruiteux. Avec la beauté des couleurs obtenues par la fusion/synthèse des pupitres extrêmement diversifiés de l'ensemble, c'est le temps dans lequel inscrit son interprétation qui captive d'emblée et nous plonge dans une écoute immersive en phase avec les évolutions lentes du matériau et l'univers cosmique relevant de l'utopie sonore du compositeur.

Vita nova
pour violon et ensemble de nous projetait dans un temps et un espace tout autre. Empruntant son titre au texte éponyme de Roland Barthes, la pièce convoque, au côté de l'ensemble instrumental, un violon soliste – lumineuse Hae-Sun Kang – et trois cordes pincées (mandoline, guitare et harpe) conférant à l'écriture « en dentelle » un profil très ciselé et toujours raffiné. Dans la lignée d'un Lachenmann, s'attache à la production du son, sollicitant de nombreux modes de jeu (piano/güiro, plectre, goulot de bouteille) pour élaborer une matière fragile aux trajectoires facétieuses et imprévisibles. Contournant le genre du concerto, le compositeur tisse autour du violon central un réseau arachnéen de sonorités instrumentales très ténues; il réserve cependant à la soliste une cadence très exposée sollicitant une technique d'archet sophistiquée et magnifiquement assumée par la violoniste.

Petit bijou dont les solistes de l' révélait l'éclat unique, Dérive 1 (6′) de est entièrement régi par le chiffre 6. Le compositeur reprend la série de six sons (sur le nom de Sacher) de Messagesquisse, garant d'une écriture concentrée et essentielle où le timbre est tout à la fois agent de la structure et source de la poétique sonore. Sous le geste fluide et économe d'Alejo Perez, et le jeu en parfaite osmose des six instrumentistes, la musique prenait des allures de rituel.

Gesänge-Gedanken mit Friedrich Nietzsche (2009) pour voix d'alto et ensemble de , qui terminait le concert, était donné en création française. Le texte élaboré par le compositeur met en résonance différents fragments prélevés dans l'oeuvre nietzschéen (Humain, trop humain, Le gai Savoir, Ainsi parlait Zarathoustra…) que Manoury confie à la voix d'alto, celle, somptueuse, de la chanteuse ukrainienne servant avec maestria la ligne exigeante et largement déployée du chant manourien. L'ensemble instrumental, dans un certain ordre assemblé pour sculpter un espace original où la percussion tient une large place, contribue, au même titre que la voix, à la traduction sonore du mot. Avec cette manière efficace et inventive d'écrire le timbre, Manoury inscrit la ligne vocale dans une constellation sonore totalement envoutante qui tutoie les hauteurs mahlériennes lorsqu'est entendu le texte extrait d'Ainsi parlait Zarathoustra « ô Mensch!gieb Acht » qui ponctue cette sublime partition.

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