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Boris Godounov à Munich par Bieito/Nagano, miracle renouvelé

Il y a quelques années, l'Opéra de Munich avait frappé un grand coup avec une Khovanchtchina mise en scène avec une grande intensité par Dmitri Tcherniakov et dirigée par  ; en 2013, c'est au tour de l'autre grand opéra de de conquérir la scène du Nationaltheater, dans la nudité implacable de sa version originale.

Dans la fosse, le miracle est le même : Nagano sait à la fois faire résonner les aspérités d'une partition qui ne rend pas toujours la vie facile aux auditeurs et dessiner d'un trait sûr le souffle épique qui l'anime, avec l'aide d'un orchestre admirablement concentré. Le niveau d'excellence atteint, non sans fluctuations parfois, par le chœur de l'Opéra de Munich est pour un tel opéra un atout de premier ordre : ce soir, il prouve sans conteste, et malgré un ou deux décalages, qu'il n'a guère de rival aussi bien pour ce qui concerne l'homogénéité du son que pour l'engagement interprétatif (le fait qu'à quelques pas de là le chœur de la Radio Bavaroise atteint les mêmes sommets a de quoi rendre jaloux bien des métropoles musicales).

, comme on pouvait s'y attendre, n'a pas manqué de mettre en évidence les résonances contemporaines de l'univers politique violent du tsar usurpateur, et il le fait avec beaucoup plus de pertinence que dans le Fidelio trop décoratif qui avait marqué ses débuts munichois. La violence physique, mais aussi la contrainte psychologique sont présents sur la scène, de façon parfois un peu appuyée, mais cela ne nuit qu'à peine à la force narrative d'un travail qui s'appuie à égalité sur une direction d'acteurs efficaces et sur un décor remarquablement construit. Un des points forts du travail de Bieito sur cet opéra d'hommes est le rôle remarquable qu'il donne aux femmes : victimes, bien sûr, mais pas seulement. Dans les grandes scènes chorales du début de l'opéra, une choriste devient ainsi le symbole de la manipulation des foules, d'abord brutalisée et réduite à la peur primaire, puis déposant sans recul tous ses espoirs entre les mains du nouveau tsar. Plus tard, dans la scène où un groupe d'enfants s'en prend au fou de Dieu (chanté avec poésie et force par ), c'est à une lumineuse blondinette que Bieito donne le premier rôle, montrant ainsi sans forcer comment la violence d'en haut vient corrompre jusqu'à l'image de l'innocence. Quand meurt Boris, Bieito ne laisse pas de doute : Chouiski et les boyards ne sont pas seuls à attendre la fin de son agonie ; Pimène lui-même est là qui s'impatiente devant ce trépas interminable : la compassion n'a pas sa place quand l'appétit de pouvoir devient la seule force motrice d'une société.


Pimène, c'est , une des plus grandes basses slaves de ce dernier demi-siècle. Sa voix a certes perdu un peu de rondeur et de velouté, mais l'intelligence de ce chanteur admirable reste une leçon, et ce d'autant plus que son successeur dans le rôle de Boris ne donne pas entière satisfaction. Le rôle, sans doute, est des plus difficiles, mais la prestation d' laisse tout de même trop de regrets : il ne faut pas seulement chanter les notes, il faut les faire vivre ; ce Boris-là paraît sans corps et sans émotions, ce qui déséquilibre beaucoup de scènes. Dans le reste de la distribution, outre les enfants de Boris – Fiodor entre fille et garçon, Xenia détruite physiquement et mentalement par son malheur –, la palme va sans hésitation au duo comique constitué par Ulrich Reß et Vladimir Matorin, aux trognes impayables, avec des voix parfaitement appariées d'un comique parfait.

Peut-être le spectacle n'atteint-il pas parfaitement le niveau de Khovanchtchina, scéniquement comme musicalement ; il restera pourtant sans nul doute comme un des meilleurs spectacles européens de la saison, et on ne peut qu'espérer que le départ de à la fin de la saison n'empêchera pas qu'il soit repris comme il le mérite. Le successeur désigné de Nagano est Kirill Petrenko : la comparaison, si elle a lieu, sera passionnante.

Crédit photographique : Wilfried Hösl/Bayerische Staatsoper

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