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Strasbourg : Tannhäuser, une première difficile

Présenter Tannhäuser sans Tannhäuser. Voilà sûrement une forme d'exploit dont Marc Clémeur et l'Opéra national du Rhin se seraient volontiers passés. D'autant plus que, comme le rappelle le programme de salle, c'est ici à Strasbourg que l'ouvrage connut sa première représentation en France en 1855, dix ans après la création à Dresde.

Annoncé souffrant d'un refroidissement mais en voie de guérison avant le premier acte, le titulaire du rôle-titre, , ne fait malheureusement illusion qu'un très bref moment. Dès la seconde strophe de son Ode à Vénus, le médium se voile, l'aigu se dérobe, le contraignant à transposer à l'octave inférieure ou à chanter en falsetto. Après une nouvelle annonce avant le second acte, précisant que son état vocal était plus grave que prévu (ce que chacun avait pu constater) et qu'un remplaçant envisagé à Karlsruhe était injoignable (sic), la soirée se poursuivait dans les conditions délicates qu'on imagine. Dès lors, on se gardera bien de juger des qualités ou défauts de , tout en saluant son courage de continuer et de permettre au spectacle d'avoir lieu. Mais toute la représentation en restera marquée par un sentiment permanent d'insécurité et de malaise, déstabilisant ses partenaires et déséquilibrant inévitablement tous les duos et ensembles. Valait-il mieux annuler ? Ne pouvait-on s'assurer à temps de la disponibilité d'une doublure, d'autant que l'indisposition du ténor américain l'avait déjà empêché de chanter lors de la générale ? Miraculeusement, il parvient néanmoins au troisième acte à délivrer un Récit de Rome tenu et à pleine voix qui donne une idée de sa puissance, à défaut de sa subtilité.

Aux côtés d'un Tannhäuser en telle difficulté, toute la distribution souffre avec lui. En Vénus, ne réitère pas la qualité de sa prestation dans ce rôle à l'Opéra-Bastille ; le timbre est toujours aussi sensuel et envoûtant mais le registre grave plus éteint et le vibrato bien moins contrôlé. est une Elisabeth de format respectable, à la voix ample et au phrasé assuré mais le timbre et le vibrato sonnent trop mûrs pour ce rôle de jeune fille. Même le vétéran et d'ordinaire solide montre quelques irrégularités dans l'aigu. est un Wolfram von Eschenbach jeune et inhabituellement clair, intense et engagé, un peu extérieur encore pour le lyrisme rêveur de la Romance à l'Etoile. Le Pâtre de Odile Hinderer est tout à fait charmant, le quatuor des Minnesänger impeccablement apparié.

La mise en scène de accumule les poncifs et quelques incongruités. Le Venusberg est un bordel du second empire (quelle originalité !), visité par des bourgeois en frac et haut-de-forme et où trône une toile à la Bouguereau dont s'échapperont bacchantes et satyres pour une fort chaste chorégraphie. Vénus est une silhouette préraphaélite à la longue perruque rousse, Tannhäuser a l'allure d'un clochard négligé et halluciné. Au second acte, la Wartburg prend l'aspect d'une salle de patronage envahie par des étudiants à l'uniforme rouge et bleu, sabre au côté. Le dernier acte est finalement plus réussi dans son dénuement d'après cataclysme. Mais que vient faire dans la maison close de Madame Vénus ce gamin (peut-être Tannhäuser enfant), qui plus est amené par un adulte qui semble être son père, et qu'on retrouvera à la Wartburg ? Pourquoi les pèlerins au retour de Rome deviennent-ils des gueules cassées de 14-18 alors que tout autour d'eux évoque le milieu du XIXème siècle et l'époque de la création de l'œuvre ? Comment Elisabeth de Thuringe pourra-t-elle être canonisée alors qu'on la voit suicidée par pendaison ? Un volumineux élément du décor traverse tout le spectacle, une sorte de cône ou de vortex tubulaire. Lustre art déco au Venusberg, il descend pour absorber Tannhäuser à son départ pour Rome et réapparaît à la toute fin pour une image du plus haut kitsch ; verdissant comme le bâton du pape, il sert alors d'échelle à Tannhäuser rédimé pour rejoindre Elisabeth descendant des cintres suspendue à un filin. La direction d'acteurs parachève la consternation par son indigence et son statisme, faisant défiler le chœur à pas comptés et abandonnant les chanteurs à des poses stéréotypées ou les bras ballants, sans jamais en approfondir la psychologie.

Alors, n'y aurait-il rien à sauver dans ce Tannhäuser strasbourgeois ? Heureusement, si. La satisfaction vient de la fosse, où officie le jeune chef . Débordant d'énergie, attentif aux équilibres sonores et soignant les progressions dynamiques, il amène à se surpasser un étincelant et passionné et un Chœur de l'Opéra du Rhin à la vaillance et à la plénitude sidérantes.

Crédits photographiques : Tannhaüser à l'Opéra du Rhin © A.Kaiser

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