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Nancy : Iolanta revient à ses origines lorraines

On l'ignore le plus souvent mais l'héroïne éponyme du dernier opéra de Tchaïkovski est née et morte à Nancy.

En effet, c'est bien cette Yolande d'Anjou, fille de René Ier, duc d'Anjou, de Bar et de Lorraine, roi de Provence et de Naples, et de son épouse Isabelle, duchesse de Lorraine, qui inspira au poète danois Henrik Hertz sa pièce La Fille du Roi René, dont est tiré le livret de Modeste Tchaïkovski. Bien qu'historiquement il est peu probable qu'elle fut réellement aveugle, elle épousa effectivement comme dans l'opéra le comte de Vaudémont Ferry II et fut à l'origine de la lignée la plus brillante des ducs de Lorraine, à commencer par son fils René II. Il était donc particulièrement subtil de proposer une rare version scénique de Iolanta en s'inscrivant dans le cadre des célébrations de « Nancy Renaissance 2013 » qui se succèderont tout l'été prochain.

Hélas, l'époque moyenâgeuse de l'ouvrage n'a pas inspiré le metteur en scène , qui avait pourtant réussi l'an dernier une réjouissante Italienne à Alger. Le cadre et les décors de Rifail Ajdarpasic sont au contraire résolument futuristes mais dans le style au comique involontaire des années 60, entre Star Trek et surtout 2001, l'Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick. Voilà donc Iolanta enfermée dans une sorte de clinique high-tech, entourée de plastique blanc, de néons et de projections d'écriture Braille, isolée dans un curieux déambulateur géant et gardée par des nonnes plus infirmières psychiatriques qu'amies. Pour parvenir jusqu'à elle, Robert et Vaudémont passeront par le circuit de ventilation étrangement mal protégé. On reste ébahi de tant de naïveté, d'autant que ni l'utilisation du dispositif scénique, ni la modeste direction d'acteurs ne parviennent à donner crédibilité à l'intrigue ou épaisseur aux caractères. Certes acteur principal de la guérison et de la libération de Iolanta, le médecin Ibn-Hakia se voit déguisé en Wotan borgne et gratifié d'un double comédien dont la seule utilité est de nous infliger en prologue un texte de Clara Pons censé « mettre en avant un certain nombre d'interrogations que contient l'oeuvre » mais qui s'avère interminable et obscur. Seules les vidéos – insistant toutefois lourdement sur la symbolique sexuelle de la découverte de la vision en même temps que de l'amour – et les jeux de lumière réveillent quelque peu l'intérêt car on renonce assez vite à suivre les intentions du metteur en scène.

Cela offre l'opportunité de se concentrer sur l'interprétation musicale et là, la satisfaction est quasi totale. Déjà fêtée en Iolanta à Toulouse, offre au rôle-titre sa jeunesse et sa voix de grand lyrique ample et enveloppante, au fin vibratello, aussi émouvante dans la mélancolie éminemment slave de son air initial qu'impressionnante dans les grandes envolées de la passion. Son Vaudémont d'amoureux n'est pas en reste de puissance ni d'intensité ; y fait valoir un physique de jeune premier parfaitement en adéquation avec le rôle et une vocalité sûre et conquérante quoique manquant encore de subtilité. Avec ces deux-là, la progression agogique du duo devient triomphante. En Roi René, a les attributs d'une fort belle basse d'école russe, au registre grave profond et sonore mais à l'aigu un peu conquis en force, et donne toute la ferveur à sa Prière « Seigneur, si je suis pêcheur ». Le Robert d' ne démérite ni en prestance scénique, ni en qualité vocale mais manque toutefois de l'absolue aisance de l'aigu, de l'élan, du slancio pour embraser pleinement son air « Qui peut rivaliser avec ma Mathilde? » comme on a entendu le faire au Châtelet un Dmitri Hvorostovsky. est un impeccable Ibn-Hakia, au timbre moins séduisant mais réussissant sans problème la redoutable gradation dynamique de son monologue. La distribution des rôles secondaires est parfaitement soignée, avec notamment la sonore Martha de et le notable Aymeric d'.

Du côté de la fosse, galvanise orchestre et plateau dans une interprétation intense et puissamment romantique. Même si les bois sont quelque peu mis en difficulté par l'introduction à froid et à découvert en début de soirée, l' fait montre ensuite d'une très belle qualité de pâte sonore, aux cordes pleines et aux basses rutilantes, ainsi que d'un fort engagement. Le , renforcé par celui de l'Opéra-Théâtre de Metz Métropole avec lequel le spectacle est coproduit, ne peut malheureusement pas démontrer sa puissance et son éloquence car, cantonné en coulisses par la mise en scène, il reste la plupart du temps peu audible. Néanmoins, Iolanta a retrouvé sa ville natale et a été dignement fêtée par un public conquis par cet authentique chef d'œuvre injustement mal connu.

Crédit photographique : (Ibn-Akia), (Iolanta), (Vaudémont), (René) © Opéra national de Lorraine

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