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A Bordeaux Barbe-Bleue et Judith en héros de manga

Depuis que la scène bordelaise a son auditorium, l'Opéra national y programme chaque année une production qui ne pourrait tenir dans le Grand Théâtre. Evidemment le décor unique et fixe est de mise. Après une remarquable Salome l'an dernier, place au Château de Barbe-Bleue de Bartók dans une nouvelle production signée .

Et comme souvent avec , la fumée et la neige sont au rendez-vous, comme une sorte d'exercice obligé ou de gimmick récurrent. Passé ce détail, la metteuse en scène offre une vision oscillant entre réalisme et distanciation du chef d'oeuvre de Bartók. Réalisme, car Barbe-Bleue, au fur et à mesure de l'ouverture des portes, exprime ses sentiments. Distanciation par les costumes, directement inspirés des mangas japonais et des films d'animation de Miyazaki. Judith apparaît dans une somptueuse robe de poupée avec arceaux, sorte de fille-enfant qui va découvrir l'univers des adultes ; Barbe-Bleue est décoré d'un couvre-chef fait d'un hibou géant, peu à peu il enlève ses accessoires et décorations pour n'être plus qu'un homme. Pendant ce temps son aimée voit des traces bleues envahir son habit puis ses mains qu'elle colle sur la barbe de son mari au moment de l'assassinat final. Barbe-Bleue devenu homme ne supporte plus cet être irréel qui a percé ses secrets les plus profonds et qui se couvre de son sang – bleu, forcément. Bien sûr le propos de Béla Balász, l'auteur du livret, a subit quelques entorses : Judith n'est plus emprisonnée, les portes ne laissent plus apparaître les couleurs qui égayent le château, les clés sont virtuelles. Témoin d'une courte mode symboliste et mystique – disparue avec la Première Guerre Mondiale – avec Maurice Maeterlinck, Gabriele D'Annunzio ou Konstantin Balmont, cette esthétique paraîtrait terriblement datée si elle était respectée à la lettre. Avec , si la lecture n'est pas aussi radicale que celle de Patrice Caurier et Moshé Laiser à Nantes ou aussi épurée que celle de Jean-Paul Scarpitta à Montpellier, elle n'en n'est pas moins intelligente et pensée.

Point de vue musical, on reste comme souvent à Bordeaux sur du  très satisfaisant. Annoncé comme souffrant d'une rhino-pharyngite, a tout de même assuré avec professionnalisme sa prestation – tout juste quelques graves engorgés pouvaient ils trahir cette méforme. Dans le médium et l'aigu, la voix est ample est sonore, qualités qui ont toujours été les siennes. est une partenaire à sa hauteur, mezzo-soprano capable d'affronter sans soucis les nombreux aigus de la partition. Mais… mais , qu'on connait pour survolter l'ONBA quand elle le dirige (Madame Butterfly, Otello), tombe dans le piège de cette partition quasi-symphonique et couvre trop souvent les chanteurs. L'orchestre – au complet ou presque – est plus délicat à doser que chez Verdi ou Puccini et l'acoustique très flatteuse de l'Auditorium n'arrange rien. Néanmoins le travail de précision et de couleurs est remarquable, positionnant définitivement l'Orchestre national Bordeaux-Aquitaine comme une phalange majeure de l'Hexagone.

Crédit photographique : © Frédéric Desmesure

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