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Ali Baba de Lecocq, les quarante voleurs dans le grand magasin

Dire que cet Ali Baba est une oeuvre méconnue frôle l'euphémisme : créé en 1887 dans le cadre du fastueux Alhambra de Bruxelles, repris dans l'indifférence à Paris lors de l'Exposition universelle de 1889, l'ouvrage n'entre qu'aujourd'hui au répertoire de la Salle Favart (en coproduction avec l'opéra de Rouen). Est-ce sa place ? Pas si sûr.

Car cette opérette opulente – ou, plutôt, cet « opéra comique », pour lui rendre son appellation véritable, et méritée -, en huit tableaux, vingt-cinq vastes numéros, dont divers choeurs et ballets, qui marche donc sur les traces de la seconde version d'Orphée aux enfers d'Offenbach, semblerait plus à son aise au Châtelet. Et l'on ne peut s'empêcher de trouver un peu chiche la mise en scène pleine de bonne volonté d', transposant l'action dans l'univers des grands magasins des années 50 ou 60. Malgré l'omission des danses, le spectacle dure trois heures, le rideau tombe sept fois, le rythme s'étiole et le rire se fige, alors que l'on rêve d'une grande revue à plumes et changements à vue dans le style de Broadway. Le décor, à base d'élévators, faux palmiers et affiches de tourisme, sent un peu son patronage (à l'exception des belles variations typographiques de l'Acte III), tout autant que les costumes et éclairages criards – et si la direction d'acteurs a été soignée, elle se heurte à la maladresse des jeunes chanteurs de l'Académie de l'Opéra Comique. Mais, répétons-le, l'œuvre est exigeante – et riche, et habile. Pas évident de transformer en pièce lyrique le conte popularisé par les Mille et une nuits de Galland : l'on ne peut donc blâmer les librettistes Vanloo et Busnach de tirer à la ligne une fois le trésor découvert. D'autant qu'il n'était pas question, sur scène, de faire découper en petits morceaux le riche marchand Cassim ni de faire frire les quarante voleurs : voilà les amateurs de gore prévenus.

D'orientalisme non plus, il n'est guère question – nous ne sommes ni chez Félicien David, ni chez Henri Rabaud (dont l'Opéra Comique a ressuscité l'an dernier le goûteux Mârouf). En revanche, Charles Lecoq, alors âgé de cinquante-cinq ans, brille de tous ses feux dans les nombreux couplets aux allures de romance, valse, boléro ou barcarolle, tout autant que dans ces morceaux obligés que sont le quintette d'action, le duo bouffe ou la ronde du guet. Les deux rôles principaux, qui réclament des chanteurs aguerris (un baryton héroïque pour Ali, une soprano centrale mais capable de légèreté pour Morgiane), ont droit à de magnifiques moments : émouvant suicide avorté, pétulante vente d'esclave, adieux à la petite table (pardon : à la « pauvre chaumière »), trépidante scène des portes marquées – sans compter un « chœur des quarante voleurs » qui vous trottera longtemps dans la tête…

Passé une entrée manquant de tonus, s'avère magnifique dans le rôle-titre, avec sa voix chaude et bien timbrée au registre ténorisant, son phrasé soyeux et son jeu à l'italienne. Très applaudie par le public, campe une Morgiane sonore, vaillante, scéniquement hardie (même en petite tenue) mais trop stridente et constamment nerveuse à nos oreilles. Le couple bouffe Cassim/Zobéide apparaît bien tenu par le ténor et la mezzo Christianne Belanger – cette dernière affichant un irrésistible don comique en dépit d'une diction coincée entre les dents. Le Zizi de (autre ténor) fait des efforts méritoires mais pas toujours couronnés de succès pour se… débraguetter, tandis que le Kandgiar de (baryton) compense son petit format vocal par d'impressionnants talents d'acrobate et que le Saladin de se réfugie complaisamment derrière son accent à couper au couteau. Direction pleine de verve mais sans subtilité excessive de , à la tête d'un Orchestre de l'Opéra de Rouen Haute-Normandie engagé mais perfectible. Mention spéciale au chœur (/Opéra de Rouen), fort sollicité ici, dont les messieurs, notamment, ne sont pas pour rien dans une résurrection réjouissante à défaut d'être étincelante.

Crédit photographique : (Ali Baba) et (Morgiane) ; (Saladin) © Pierre Grosbois

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