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Le Mephisto d’Erwin Schrott conduit le bal à Baden-Baden

Malgré la défection d'Anna Netrebko, qui a renoncé à ajouter à son répertoire le rôle de Marguerite qu'elle devait aborder également à Londres et Vienne, le Festival de Pentecôte de Baden-Baden a maintenu sa production du Faust de Gounod.

Après une valse-hésitation assez cocasse, qui a vu la participation d'Angela Gheorghiu annoncée puis annulée, c'est qui, comme à Londres et Vienne, a finalement interprété Marguerite.

Les rares spectateurs qui n'auraient pas suivi ces changements de distribution ont pu s'y tromper. En effet, se rapproche assez étroitement d'Anna Netrebko tant par le physique avenant que par la voix au timbre riche en harmoniques et au caractère enveloppant. Technicienne accomplie qui assure avec brio les vocalises de l'«Air des bijoux», actrice investie et juste qui va jusqu'à tirer parti d'une grossesse avancée qu'elle ne peut désormais plus cacher pour parfaire au IVème acte l'incarnation d'une Marguerite enceinte, elle en réussit un portrait complet et abouti, aussi espiègle et coquette au IIIéme acte qu'émouvante dans son extase rédemptrice du Vème. Seuls regrets : un extrême aigu parfois durci et crié et l'absence de l'air «Il ne revient pas» où elle aurait très certainement fait merveille.

Le Faust de fait plus pâle figure. Ce ténor d'essence lyrique, stylé et scrupuleux, touche peut-être ici ses limites. Toujours un peu nasal de timbre, moins puissant que ses partenaires, il soigne pourtant les nuances et varie avec à propos l'émission, réussissant un très joli si aigu diminuendo sur le «Je t'aime» du second acte, tentant avec un moindre bonheur un contre-ut plus falsetto que voix mixte à la fin de «Salut, demeure chaste et pure». Son Faust cependant reste effacé, velléitaire, presque geignard… un anti-héros. Tout le contraire du Méphistophélès tonitruant et haut en couleurs d'. C'est bien lui le maître du jeu. La puissance vocale est triomphante, titanesque, au risque de déséquilibrer les ensembles. L'art de la demi-teinte n'est certes pas sa qualité première. Mais a-t-on assez noté le caractère extraordinairement libre, décalé, moderne du jeu scénique ? A tout moment, une attitude ou un rictus presque comiques viennent désamorcer tout excès de pathos. «Le veau d'or» est éblouissant, la Scène de l'église impressionne, la Sérénade en rajoute dans le rire sardonique quitte à friser le grand-guignol. Quel dommage que la prononciation du français soit si exotique, au contraire de ses collègues !

En Valentin, fait valoir une belle longueur de souffle et un legato de qualité pour un «Avant de quitter ces lieux» de superbe facture. Sa mort et sa malédiction à Marguerite convainquent moins, l'engagement dramatique très expressionniste y prenant le pas sur le soin du chant. en Dame Marthe réussit à nouveau une composition truculente et pittoresque mais la voix est hélas très usée. Quant au mezzo clair d' en Siebel, s'il est doté d'un joli grain de voix et d'une belle ferveur, il marque peu les esprits.

Abonné des productions (plutôt réussies) du Metropolitan Opera de New York, le metteur en scène se montre cette fois à court d'idées. Entre réminiscences du film «Amour» de Michael Haneke et hommage à Jorge Lavelli pour la fête foraine et la grande roue lumineuse du second acte, il nous refait le coup d'une construction en flash-back à partir de l'image de Faust devenu vieillard et veillant sur son épouse Marguerite folle et malade. La présence permanente de cette femme âgée (interprétée avec intensité et conviction par la comédienne Emanuela von Frankenberg), qui va revivre tout au long de l'opéra les étapes marquantes de sa vie et se verra dédoublée à partir du IIIème acte par la jeune sœur défunte qu'évoque Marguerite, va rapidement s'avérer plus encombrante qu'éclairante. Les changements de scène à vue, d'abord spectaculaires avec l'agrandissement de la bibliothèque de Faust aux dimensions d'un vaste salon lambrissé, deviennent eux aussi redondants avec ces figurants escamotant et apportant les accessoires et le chœur entrant ou sortant à pas militaires comptés. Plus la soirée avance, plus l'absence de variété dans les perspectives et la modestie de la direction d'acteurs se font cruellement sentir ; le duo d'amour du III ne décolle pas, la Nuit de Walpurgis frise le grotesque par le néant de sa chorégraphie (heureusement dans ces conditions que le ballet intégral ait été, comme souvent, omis), la scène finale et le retour à l'image initiale tombent à plat.

La véracité dramatique absente de la scène est heureusement apportée par la direction puissante et très symphonique de , dirigeant un Orchestre symphonique de la NDR intense et engagé mais aux vents fragiles et aux bois un peu trop agressifs. Cette plénitude sonore ne l'empêche pas d'alléger, comme pour la Valse du II subtile et sans lourdeur. Le Philharmonia Chor de Vienne est au diapason, impressionnant de vigueur, de précision et de qualité.

Crédit photographique: © A. Kremper

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