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Au Paradis avec la Péri de Sally Matthews

A la Philharmonie Luxembourg, dans un environnement de rêve, emmène au paradis une distribution triée sur le volet.

L'ouvrage, assez rarement donné de nos jours, n'est pas forcément des plus abordables. L'ésotérisme d'un livret particulièrement alambiqué, tiré d'une romance orientalisante de l'Irlandais Thomas Moore, serait plutôt en contradiction avec une musique franche et directe qui sait toucher l'âme et aller droit au cœur. Et si le message discrètement chrétien d'un texte pourtant inspiré de traditions persanes plaiderait plutôt pour un œcuménisme de bon aloi, la musique, elle, s'inscrit dans une solide tradition romantique germanique qui annonce déjà Wagner tout en rendant un vibrant hommage à Spohr ou à Beethoven. De nature mi-profane et mi-religieuse, cet oratorio-opéra constitue en effet un jalon indispensable entre les ouvrages du premier romantisme encore marqués par l'opposition entre morceaux musicaux et récitatifs, et ceux prônant la mélodie ininterrompue qui allait caractériser la deuxième moitié du XIXe siècle. De toute évidence, le conte féérique et initiatique offert au public luxembourgeois aura marqué toutes les consciences et les sensibilités, d'autant plus que magistralement servi comme il l'a été ce soir-là, le chef d'œuvre de Schumann pourrait difficilement laisser qui que ce soit indifférent.

On aura en effet rarement entendu une exécution aussi soignée, dans laquelle on ne pourra déplorer aucun maillon vraiment faible. Ni dans le Guildhall Quartet, réservoir de talents plus que prometteurs, ni dans les rôles dits secondaires, luxueusement distribués pour l'occasion. On ne tarira donc pas d'éloges pour la touchante humanité du baryton-basse , pour la ligne cristalline de la sublime ou encore pour l'émouvante candeur du ténor . Tout au plus pourra-t-on regretter la brièveté de leurs apparitions. Plus importante, certes, est la partie dévolue à , mais si l'on salue la musicalité impeccable de cette artiste, on pourra sans doute regretter l'usure indéniable de moyens qui n'ont jamais été énormes mais toujours remarquables pour leur beauté et pour leur homogénéité. En très grande forme vocale, a montré une fois encore qu'il était sans rival dans la maîtrise des grands récits bibliques ou mythologiques. Sa voix semble avoir gagné en ampleur ces dernières années. On aura gardé pour la bonne bouche l'extraordinaire , qui a offert au public luxembourgeois une prestation d'anthologie. Dotée d'une voix longue et souple, marquée par un léger grelot à la Pilar Lorengar, ainsi que d'un tempérament musical qui n'est pas sans rappeler celui autrefois de la grande Julia Varady, la soprano anglaise aura insufflé à chaque mot et à chaque note de sa partition la couleur juste ainsi que l'investissement poétique qu'il fallait. On rêve d'entendre cette grande chanteuse, cette exceptionnelle diseuse, dans les opéras de Richard Strauss, voire un jour – rêvons – dans Fidelio

Autour de tels joyaux, le et le ont été plus qu'un simple écrin. Si le chœur a peut-être encore quelques progrès à faire au niveau du respect de la dynamique, l'orchestre, le plus vieux des grands orchestres londoniens, aura donné de la partition une lecture sans doute plus tonique qu'éthérée, en tout cas à tout moment habitée sinon véritablement inspirée. Peut-être une plus longue fréquentation de la baguette de Sir permettra-t-elle de réaliser un jour la pleine osmose que d'autres ensembles ont réussi à atteindre dans une œuvre rare, qu'on gagne à redécouvrir chaque fois que l'occasion en est donnée.

Crédit photographique : et Sir © Sébastien Grébille

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