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Berg à Berlin, Lulu dominée par le Dr. Schön de Michael Volle

Après le décevant Wozzeck donné la veille par la même équipe / , dans cette Lulu l'essentiel est sauf à défaut d'être exaltant.


Commençons par le pire. Ce qui est joué à Berlin depuis la première de cette production en 2012 n'est pas la version complétée par Friedrich Cerha, mais une « version de Berlin ». Cette « version » consiste en la suppression pure et simple du prologue et de tout le premier tableau de l'acte III et par la réorchestration du tableau restant par (pure pacotille). Le premier tableau, certes, est le point faible de l'œuvre telle que nous la connaissons, et Berg aurait certainement pris grand soin à le densifier. Mais sa suppression est justifiée dans le programme par un argument autrement pernicieux : de même que le prologue détournerait le regard du spectateur vers les aspects les plus circassiens de l'oeuvre, ce tableau parisien viendrait perturber la trajectoire fatale de Lulu. Berg, le pauvre, ne savait donc pas ce qu'il faisait. C'est ainsi qu'on ripolinait les œuvres au XIXe siècle pour les rendre conformes à la morale bourgeoise et à l'idée qu'on s'en faisait ; c'est ajouter l'insulte à l'outrage, et c'est aujourd'hui indigne d'une maison d'opéra sérieuse.

Après le triste Wozzeck vu la veille, on pouvait difficilement conserver de hautes attentes pour cette Lulu. La mise en scène d' parvient pourtant à intriguer pendant tout le premier acte  : le regard fixe et sinistre de Lulu, cette manière de faire parler les personnages d'un coin caché de la scène plutôt que du premier plan, cette absence de dialogue, pour sûr, il y a un concept caché. Hélas, après l'entracte, ces intrigantes rigidités formelles se dissipent sans qu'on ait pu en approcher le sens, et il ne reste qu'une banale direction d'acteurs sans sens ni émotion.

Heureusement, les choses vont mieux musicalement que la veille. ne parvient certes pas à tenir sa ligne de chant dans les aigus, mais sa voix étrangement fruitée n'est pas mal venue dans ce rôle. Les ténors font leur office, tout comme qui n'est pas le plus inventif des Schigolch, mais on est heureux de retrouver en pleine possession de ses moyens vocaux. Surtout, c'est qui fait de son personnage le point d'attention principal de la soirée. La voix est glorieuse, la projection fait trembler les murs, et il s'y trouve les accents de l'arrogance de l'homme qui n'a pas de temps à perdre, du dédain des puissants contre les contingences du monde qui les entoure. C'est magistral, et on n'a jamais autant regretté qu'aujourd'hui que Schön meure au milieu de l'acte II. La direction de Barenboim, dans cette œuvre qui lui est sans doute moins proche que Wozzeck, est paradoxalement plus soignée, peut-être parce qu'il peut moins se fier à ses réflexes : on a déjà entendu plus enivrant, plus efficace dramatiquement dans cette œuvre très payante ; du moins l'essentiel est sauf à défaut d'être exaltant.

Crédit photographique : © Bernd Uhlig / staatsoper-berlin.de

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