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A Genève, Medea met le feu au Grand Théâtre

Dans cette nouvelle production du Grand Théâtre de Genève de Medea de , le remplacement à la dernière minute du rôle-titre de Jenifer Larmore par la soprano canadienne offre au public genevois une Médée au-delà de toutes attentes.

Des mains. Ses mains. Immenses. Une seule recouvre presque l'entier de sa poitrine. Des mains d'une expressivité incroyable. Des mains qui participent pleinement à l'économie des gestes. Peu de gestes dans le jeu d' (Medea) mais, des attitudes qui racontent plus que les mots, que les notes, que le chant même. Ainsi, ce bras pointé touchant presque le sol, la main ouverte, pendant que l'autre bras tendu jusqu'au bout d'un doigt désignant le ciel duquel Medea implore la vengeance envers ceux qui ont bafoué son amour. Le geste de l'indispensable nécessité de dire. Des mouvements qui vont à l'essentiel. Des regards, des pas qui, appuyés ou brusquement freinés racontent les affres de la femme abandonnée. les vit en elle-même. Offrant ce vivant désarroi, elle n'est plus soprano, ni cantatrice, ni même Alexandra Deshorties. Elle est Medea. Elle est son histoire. Elle est la magicienne de Colchide, la femme à l'amour sacrifié. Mince, élancée, presque malingre, jamais on n'imagine la puissance expressive qui se dégage de cette femme.

On l'aura compris, avec Alexandra Deshorties, le théâtre lyrique s'offre une tragédienne. Une tragédienne comme la scène genevoise n'en n'avait plus vu depuis plus de trente ans, quand Gwyneth Jones et Leonie Rysanek s'invectivaient dans Elektra de Strauss. S'agissant aujourd'hui de Medea, on ne peut pas ne pas penser à celle qui a marqué ce rôle dans l'histoire de cet opéra. Maria Callas ! Comme Gwyneth Jones, Maria Callas n'avait pas ce qu'on appelle « une belle voix ». Mais avec ces voix, elles ont marqué l'essence du personnage. Comme le fait aujourd'hui Alexandra Deshorties. Dans ce rôle, elle ne privilège pas le beau, mais elle s'attache à dire plus qu'à chanter. Terrifiante dans sa projection vocale, elle habite son personnage avec une désarmante authenticité jouant sur une palette de couleurs vocales propres à imprimer la rage, la barbarie, autant que la douceur maternelle et l'émotion amoureuse.

Le personnage excessif de Medea habite toute la scène. Pour peu, il ne laisserait aucune place aux autres protagonistes si ce n'était pour la présence lumineuse d'une (Néris) émouvante à souhait dans l'amour qu'elle porte à Medea et à son malheur. Malgré trente ans de scène, la voix miraculeuse de la contralto italienne n'a pas pris une ride. Quelle beauté de timbre et de phrasé dans ce « Medea ! O Medea !…Solo un pianto » inspirant l'accompagnement du basson d'Alfonso Venturieri !

A leurs côtés, la basse (Creonte) ne brille pas beaucoup vocalement, engoncé dans une voix quelque peu ingrate et dans un rôle de miséreux malgré lui qu'il tient avec cependant beaucoup de prestance et d'à propos.

L'attention sur les autres solistes est attirée par de minuscules pastilles dissimulées sur le côté de leur joue. Même si quelques voix paraissaient étrangement spatialisées, voir parfois inhabituellement puissantes, renseignements pris, il s'agirait d'oreillettes destinées à guider les artistes pour une future captation télévisuelle (?). Vu le décor (Herbert Murauer) gigantesque d'un mur de bois complètement ouvert sur un paysage de campagnes, les protagonistes ne peuvent s'échapper qu'à « cour » ou à « jardin ». Dès lors, on s'étonne qu'au soir de la première, après six semaines de répétitions, on soit obligé d'encore donner des instructions de mise en scène sur le plateau. Même s'il semble toujours emprunté avec la direction théâtrale des masses chorales, Christof Loy s'est assagi dans son propos scénique et montre un spectacle limpide.

Relevée presque au niveau de la scène, dont une estrade entoure même les musiciens, la fosse permet l'utilisation d'un orchestre de dimension plus modeste, offrant ainsi un intéressant accompagnement de proximité aux chanteurs. A la direction, le chef slovène propose une lecture précise de l'œuvre, quand bien même les premières mesures de l'ouverture sont apparues quelque peu brouillonnes. Dès l'entrée d'Alexandra Deshorties, le plateau s'enflamme au voisinage de cette formidable artiste. Avec une telle protagoniste (dont on nous promet d'autres prestations sur la scène genevoise), cette Medea de Cherubini restera longtemps gravée dans la mémoire de ce théâtre.

Crédits photographiques : ©GTG/Wilfrid Hoesl

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