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Guillaume Tell à Pesaro, sensation surtout vocale

La mise en scène de en décevra plus d'un, mais l'interprétation vocale de haute volée rend pleinement justice à la réputation du Rossini Opera Festival de Pesaro.

Lors du Rossini Opera Festival de 2013, la nouvelle mise en scène du Guillaume Tell de Rossini avait été moyennement appréciée. Peut-être avait-on exagérément souligné la dimension politique, voire communiste, de la lecture de , marquée effectivement par le rouge d'un rideau de scène montrant un poing levé, par les diverses taches de sang éclaboussant le décor ou encore par les différents drapeaux brandis ici ou là par les insurgés suisses. Certes les ballets, assez habilement intégrés à l'action dramatique, y dénonçaient sans ménagements l'oppression du joug autrichien, n'hésitant pas à suggérer toutes formes de perversions sexuelles y compris l'appétence de l'immonde Gesler pour le jeune Jemmy… On ne saurait nier en effet la portée politique d'un ouvrage curieusement créé sous le règne de Charles X, mais tellement annonciateur des opéras à composante nationaliste qui allaient préparer les esprits pour le risorgimento italien à venir. Car c'est bel et bien le peuple opprimé qui est le véritable héros de cette lecture, comme l'indique encore la devise Ex terra omnia gravée sur l'immense boîte blanche qui sert de cadre de fond au décor, et dont les baies laissent de temps à autres entrevoir une lointaine et improbable nature. La présence sur le plateau de quelques tas de terre, pour le moins incongrus dans un décor aussi froid et aseptisé, rappelle que l'histoire est avant tout celle d'un peuple dépossédé de tout, privé de son identité et continuellement en butte à l'oppression.

Le vrai problème de la mise en scène de , et qu'accentue encore la réalisation vidéo, réside plutôt dans la confusion créée par le choix d'un espace gigantesque – l'arena adriatica, au lieu de l'habituel teatro Rossini de Pesaro –, espace de toute évidence impossible à maîtriser. Choristes, danseurs, solistes se bousculent joyeusement dans cette immensité scénique bizarrement transformée en une sorte de studio de cinéma où, par phénomène de mise en abyme, on ne cesse d'actionner une caméra. Qu'elle soit utilisée par un journaliste soucieux de fixer pour l'éternité les turpitudes d'Autrichiens fin-de-siècle, ou encore qu'elle serve à Arnold pour revivre son enfance au cours d'un inutile flashback cinématographique, cette caméra omniprésente ne fait que distraire le spectateur et l'éloigner d'une action dramatique qui, décidément, peine à trouver son rythme. Belle réussite néanmoins, le superbe escalier qui s'abaisse au finale, et dont la montée des marches par Jemmy laisse entrevoir un avenir meilleur. Faisons semblant d'y croire.

Fort heureusement le niveau musical offre davantage de satisfactions, même si les interprètes des rôles secondaires sont dans l'ensemble plutôt médiocres, et si l'on peut déplorer de façon générale le français quelque peu hasardeux de la plupart des solistes. Ce reproche vaut également pour le Chœur du Teatro Comunale de Bologne, pourtant investi musicalement et scéniquement. On comprend mal dans ce cas les raisons du choix de la version originale… On saluera donc la belle prestation vocale du prometteur dans le rôle difficile mais anecdotique du pêcheur Ruodi, ou encore celle de la formidable , qui parvient à brosser de Jemmy un portrait scénique entièrement convaincant. Vocalement remarquable, elle hérite de l'air « Ah, que ton âme se rassure » que Rossini avait coupé à la création de l'œuvre. Autre interprète féminine de choix, qui est une Mathilde à la voix souple et corsée, d'évidence promise à un avenir plutôt verdien que purement belcantiste. Dans le rôle-titre, fait valoir un baryton au velouté de rêve, mais on le sent peu investi dramatiquement dans cette production. Pour son premier Arnold à la scène, renoue avec la tradition d'un Adolphe Nourrit, et chante son personnage en misant davantage sur la somptuosité des phrasés et sur la souplesse musicale que sur la vaillance héroïque héritée d'un Gilbert Duprez. Son Arnold n'en est pas pour autant dénué de force et de crédibilité.

Sans doute doit-on en grande partie la réussite musicale d'ensemble à la présence dans la fosse du chef d'orchestre , dont la direction musclée et toute en nuances permet d'offrir à cet opéra rarement représenté sur scène la structure et la cohérence refusées par la mise en scène.

Sans doute une réalisation purement discographique aurait-elle davantage servi l'ultime opéra de Rossini.

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