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Bach in India à Paris

Présent dans la grande salle de la Philharmonie en janvier dernier pour une nuit du raga, le docteur Subramaniam est de retour à Paris, avec son fils et une composition en création mondiale, pour un concert où autant ses œuvres qu' et l' tentent de jeter un pont entre Bach et la musique indienne.

Familière avec Gli Incogniti de la reconstitution pour violon du Concerto pour clavecin BWV 1052, est cette fois-ci accompagnée d'un ensemble de cordes issu de l'orchestre. Même si l'osmose entre soliste et orchestre n'est pas parfaite au début des premier et deuxième mouvements, on admire la virtuosité mise à rendre des motifs qu'on est habitué à entendre jouer à deux voix (doubles-cordes, arpèges très rapides), mais aussi l'équilibre des voix et la très bonne tenue musicale de l'ensemble. Dans la célèbre chaconne extraite de la Partita n° 2, fait là aussi admirer tout son art. Elle n'hésite pas à user de la souveraine liberté du soliste, avec quelques pauses entre les phrases et quelques légers changements de tempo, mais aussi en improvisant un petit prélude pour se chauffer et s'accorder – pratique courante à l'époque baroque mais aussi sûrement ici écho aux pratiques des musiciens indiens.

Ceux-ci interviennent une première fois entre les deux œuvres de Bach, pour un morceau typique de musique carnatique. Assis sur un côté de la scène, les deux violonistes et le percussionniste interprètent un kriti, composition à la structure extrêmement codifiée, mais laissant la part belle aux improvisations et à des solos exécutés avec une virtuosité époustouflante, permise en partie par la sonorisation des instruments. Au-delà des très grandes subtilités harmoniques et rythmiques, ce qui frappe avant tout est le caractère éminemment cyclique de cette musique. C'est là un point commun avec Bach (en particulier et par définition pour la chaconne, mais aussi pour l'aspect jumeau des thèmes des premier et troisième mouvements du concerto). Mais on peut aussi rapprocher ces deux musiques par leur côté aérien et vocal, par certains motifs mélodiques très ressemblants et par la science harmonique qui les sous-tend.

Mais la véritable rencontre a lieu avec les deux œuvres écrites par le docteur Subramaniam pour orchestre symphonique et violons indiens (toujours sonorisés). Toutes deux combinent rythmes réguliers et tonalité occidentale avec cycles rythmiques et échelles modales d'Inde du Sud, ce qui entraîne une grande difficulté d'interprétation pour Amandine Beyer et la phalange parisienne. Le Paris concerto, créé pour l'occasion, commence par un mouvement très rythmé, extrêmement dynamique, et laissant la part belle, comme le reste de l'œuvre, aux vents et aux percussions de l'orchestre, et à de longs solos aux violons et à la percussion indiens. Un piano ajoute sa couleur particulière à l'ensemble. L'utilisation d'instruments européens et l'aspect très répétitif de la musique évoquent volontiers Philip Glass ou Steve Reich ; on pense à de la musique de film. Après un deuxième mouvement frais et printanier, très cadencé, le troisième présente un thème en 5/8, très proche de celui du troisième mouvement du concerto de Bach (au début). Obstiné à l'extrême, dense et dramatique, il conclut une partition finalement très accessible à l'écoute, mais très prenante et d'une grande richesse. Tribute to Bach, sorte de concerto en un mouvement, est joué dans la même configuration, sans le piano mais avec Amandine Beyer comme soliste supplémentaire. Le rythme est en 7/8 et les traits de violon baroque font plus penser à Paganini qu'à Bach. C'est davantage dans l'harmonie (pour le coup bien baroque) et quelques références mélodiques discrètes, notamment dans le finale, qu'on retrouve l'esprit du Cantor de Leipzig. Une œuvre loin d'être un pastiche, très intense elle aussi, avec laquelle Amandine Beyer et l' démontrent leur grande capacité d'adaptation.

Crédits photographiques : © DR ; Amandine Beyer © Oscar Vásquez

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