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Trifonov brille dans Prokofiev

, de passage à Paris, dévoile son Prokofiev dernier cru : il est amer, caustique, emporté, tel qu'on l'aime.

Le pianiste russe de 24 ans peut se targuer d'intriguer tout le monde. Certains l'intronisent déjà parmi les grands ; d'autres ne veulent voir en lui qu'un feu de paille médiatique dont les années effaceront bientôt le souvenir. Visiblement à demi conscient de son irrésistible ascension, Trifonov parcourt le monde, et s'attaque aux monuments du répertoire avec une boulimie sympathique. On entrevoit les raisons d'une telle hâte : fin connaisseur des maîtres du passé, il traque les automatismes ou les partis-pris, projections d'une époque, et il se sent une âme de briseur d'idoles.

On brûle de le découvrir dans une pièce aussi intimidante que le Deuxième concerto de Prokofiev – à n'en point douter, il en est parmi les plus jeunes interprètes. Pour ce chef-d'œuvre absolu, les références ne manquent pas, mais fidèle à lui-même plutôt qu'aux « anciens », Trifonov s'en écarte dès les premières mesures de l'Andante introductif : le tempo très lent qu'il choisit accentue judicieusement l'impression de désolation du thème principal, dont les notes, en frêles octaves de main droite, forment à grand-peine une mélodie cohérente. Nous sommes à la limite de la désagrégation ; mais ce qui pourrait être un désastre est ici une vraie trouvaille : on ne pourrait rêver climat plus mélancolique.

Impétuosité sans précipitation

Tout change bientôt : pour le contraste, Prokofiev a inséré, après son large thème, une section digne de ses meilleurs scherzi. Là encore, Trifonov détonne. Son jeu reste très limpide et légèrement retenu, mais c'est pour mieux souligner les traits pianistiques acerbes qui parsèment en cet endroit la partition. De subits contrastes de nuance apportent à ces pages un surcroît d'imprévisibilité et de caprice, parachevant le régal. Puis vient la cadence, l'apothéose brutale du mouvement, où brille une nouvelle fois, plus que la sûreté technique du pianiste, sa fidélité à l'esprit de l'œuvre : nul ne peut dire s'il a véritablement joué les notes, mais à n'en point douter, il a joué du Prokofiev.

Sans surprise, la densité de ces impressions contribue à éclipser une performance pourtant honnête de l'. L'avant-dernière symphonie d' est magnifiée, dans une certaine mesure, par des pupitres de vents aux intonations superbes. Intégrales de Varèse offrait aussi une agréable alternative à la sempiternelle introduction symphonique de nos concerts parisiens, et les onze musiciens, guidés par les gestes minutieux d'un très présent, en ont donné une lecture pertinente et homogène. Qu'à cela ne tienne : de la soirée, on retiendra surtout le bonheur ressenti à voir un jeune pianiste trouver un gant à sa main.

Crédit photographique : © Nicolas Brodard

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