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Re-création d’Orfeo de Luigi Rossi à Nancy, un enchantement

Après l'éblouissante découverte d'Artaserse de Leonardo Vinci, production qui a fait le tour de l'Europe en version scénique ou de concert et qui a révélé pour beaucoup le phénoménal Franco Fagioli, l'Opéra national de Lorraine, toujours à la pointe des redécouvertes baroques, recrée Orfeo de , presque 369 ans après sa création au Palais-Royal de Paris le 2 mars 1647.

 ? Compositeur, chanteur, luthiste, claveciniste et organiste italien de la première moitié du XVIIème siècle nous enseignent les encyclopédies, auteur d'abondantes cantates et de deux opéras. Mais qui peut se targuer d'en connaître la production ? Et notamment son Orfeo oublié, qui fut pourtant le premier opéra joué en France à l'initiative et à la gloire de Mazarin, devant la régente Anne d'Autriche et le tout jeune Louis XIV.

Le livret de l'abbé Francesco Buti y revisite le mythe d'Orphée et Eurydice en développant sur deux actes leurs amours et leurs noces, ne consacrant que le troisième aux péripéties suivant la mort d'Eurydice et à la descente d'Orphée aux Enfers. Il donne une importance inaccoutumée au rôle d'Aristée, amoureux éconduit d'Eurydice, dont la jalousie sert de moteur à la catastrophe finale. Bien ancré dans son époque, il marie tragédie et comédie, notamment dans les deux personnages de Momus et de la Vieille Femme, dont Vénus prend les traits pour mieux influencer Eurydice et la convaincre de préférer Aristée à Orphée. Savamment reconstituée par le chef et Miguel Henry, la partition de impressionne par sa qualité et sa variété. Pour plus d'impact dramatique, ils ont choisi d'éliminer le court prologue allégorique et le choeur final, afin de conclure sur les bouleversantes lamentations d'Orphée. Quelle profusion, quelle inventivité dans cette succession de récitatifs, lamentos, ariosos, duos et ensembles à trois ou quatre voix et chœurs ! Quelle richesse dans cette orchestration aux alliages constamment variés de timbres : cordes en quatre parties, théorbes, luth, flûte, dulciane (l'ancêtre du hautbois), cornets, clavecins, timbales et même harpe ! Un authentique chef d'œuvre dont la résurrection est amplement justifiée.

Ni reconstitution historicisante, ni actualisation outrancière, la voix moyenne choisie par la metteuse en scène néerlandaise Jestke Mijnssen fait mouche. Ben Baur a construit un décor unique parfaitement baroque, salon ou chapelle ovale couronné par une coupole et aux parois couvertes de haut lambris, qui se revêtiront de rideaux noirs pour l'acte des Enfers. Gideon Davey a dessiné des costumes très variés aux riches étoffes, mélangeant les époques pour toucher à l'atemporalité, concevant des coiffes extravagantes mais toujours élégantes pour les femmes. Le noir du deuil y succède au blanc crème des noces. Quant au peuple des Enfers, il lui a inspiré un bestiaire fantastique, mi-homme mi-animal, à la forte touche surréaliste. Les éclairages de Bernd Purkranek complètent le succès en composant des tableaux d'un esthétisme quasi pictural. Mais la véritable réussite de cette mise en scène se trouve dans une direction d'acteurs extraordinairement fouillée, qui n'abandonne jamais aucun chanteur, sait rendre crédible, vivant chaque personnage et le faire évoluer tout au long du spectacle. Du coup, secondées par la variété de la partition, ces presque trois heures de musique passent comme un enchantement.

Impeccablement construite, la distribution s'intègre avec bonheur dans la conception scénique qu'elle complète et enrichit. est un Orphée aussi probant dans l'ardeur de l'amour que dans la douleur de la perte de l'être aimé. La toute jeune est absolumnet mémorable en Eurydice lumineuse à la voix limpide, toute de charme et de douceur mais néanmoins capable de fermeté et de colère contre Aristée, que campe avec intensité et une idéale touche de noirceur la mezzo-soprano Giuseppina Bridelli. est tout aussi convaincante tant en Vénus qu'en Proserpine tandis que, dans sa double incarnation de l'Augure et de Pluton, assure avec aplomb des graves aussi profonds que son infernal séjour. Le contre-ténor réalise une composition de fort relief, en Nourrice matrone comme en Amour adolescent attardé; toutefois sa moindre projection vocale tend à le faire disparaître dans les ensembles. Le survolté en Momus et le toujours hilarant en Vieille Femme assurent à la perfection la part comique du spectacle, où l'on remarque également l'Endymion d'une grande éloquence de .

Absolu maître d'œuvre de cette recréation, parachève la réussite par sa direction large et souple, constamment attentive à la scène et y répondant par les ambiances adéquates. Son orchestre, l', bénéficiant d'une surélévation de la fosse, offre une plénitude du son, une fusion des timbres et une homogénéité des pupitres auxquelles les formations d'instruments anciens ne nous ont pas toujours habitués. Enfin, le Chœur de l' semble se jouer des polyphonies pourtant complexes que Luigi Rossi lui a réservées.

Face à une telle découverte aussi splendidement réalisée, le public n'a pas ménagé son enthousiasme; ne parvenant pas à réfréner ses applaudissements au tomber de rideau, il a malheureusement couvert la péroraison musicale finale. Mais qu'importe ! Une telle ovation, surtout venant des nombreux jeunes présents dans la salle, a visiblement fait chaud au cœur de tous les artistes. Coproduit avec l'Opéra Royal de Versailles, l'Opéra national de Bordeaux et le Théâtre de Caen, ce magnifique spectacle y sera donné dans les mois à venir. Capté par France 3 les 7 et 9 février prochains, il sera également visible sur Culturebox à partir du 9 février. A bon entendeur…

Crédit photographique : @ Opéra national de Lorraine
(Euridice) et Judith van Wanroij (Orfeo) /  (Caronte) – Judith van Wanroij (Orfeo) – (Euridice) – (Augure) – (Vecchia) – Giulia Semenzano (Venere, Proserpina)

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