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Le Roi Roger séduit par Saimir Pirgu

De cette production londonienne du Roi Roger, de bonne facture mais qui n'échappe que partiellement à l'excès de focalisation sur l'homosexualité dont on marque trop souvent cet opéra, l'atout maître est le ténor , qui n'a pas à forcer son talent pour jouer le séduisant perturbateur.

Créé sur scène en 1926 à Varsovie, à Londres en 1975,  le Roi Roger reste un opéra rare. Ce n'est qu'en 2009 qu'il sera donné sur scène en France, à Bastille, dans une production de Krzysztof Warlikowski, et en 2015 c'était la première fois à Covent Garden. La version de Paris a été filmée mais jamais éditée en DVD, trop plombée par  les obsessions du metteur en scène. La production de Londres sera donc la première représentation scénique de plan international de cette œuvre magnifique, après deux publications plus confidentielles issues des opéras de Wrocław (2007) et Bregenz (2009).

Opéra sur le trouble et le désordre du désir dionysiaque qui s'empare du puissant qui se croyait protégé par le règne de l'équilibre apollinien, sous l'influence d'un mystérieux berger propagateur d'une nouvelle religion,  l'œuvre est à nouveau réduite à la question du désir homosexuel (lire notre article de 2003 lors d'une représentation de concert au Châtelet). Ce n'est pas faux, mais la mise en scène de , qui donne à certaines attitudes équivoques et lance à l'assaut du couple royal des corps nus masculins sans tête aux contorsions lubriques, plombe le propos – la prise de vues à cet égard aurait gagné à davantage recourir aux plans larges, pour retrouver l'expérience du spectateur.

Oui l'opposition éternelle d'Apollon et de Dionysos est brûlante, troublante, oui elle pousse l'homme et la femme dans leurs retranchements, mais elle n'est pas le combat du bien et du mal et elle va plus loin que le cliché chasteté contre débauche. C'est la tension entre deux pôles qui nous fait humain. C'est d'ailleurs pour cela que la reine Roxane est immédiatement favorable au Berger dionysiaque. Ce n'est pas qu'elle soit plus facilement séduite que le roi, c'est qu'il lui apparaît avec évidence qu'on ne peut être soi-même si on n'est pas partagé – et équilibré – entre la connaissance des extrêmes. Et c'est pour ça que l'opéra se termine sur une incantation au soleil de l'aube qui n'est pas sans ambivalence : au terme de l'épreuve initiatrice, le roi est devenu plus fort et plus maître de lui mais avec moins de certitudes univoques. Il est moins mâle mais davantage un homme.

Tout cela, la production londonienne ne permet qu'imparfaitement de le saisir. La Roxane de Georgia Jarman, belle femme blonde au naturel, voit ses traits durcis par une chevelure brune au carré strict qui lui retire de sa sensualité, au profit d'un  rayonnant, entre malice et maléfique. Le baryton , qui incarnait déjà le roi à Bastille, est vocalement impeccable, mais dramatiquement manque d'un soupçon de caractérisation.

Au fond, cette publication bien dirigée par un  inspiré et motivé par la défense de l'oeuvre, apporte deux bonnes nouvelles : le Roi Roger entre au catalogue des grandes maisons  et des labels d'opéra, et il y a de la marge de progression pour lui rendre justice scéniquement. En somme, une bonne version d'attente.

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